Le « slop » : la bouillie numérique au service des algorithmes

On croyait Internet partagé entre génie et vide, entre chefs-d’œuvre et banalité. Mais un nouveau mot est apparu : slop. Une bouillie numérique, produite à la chaîne, qui se répand partout. Livres, musiques, images, sites entiers générés par IA… sans auteur, sans couture, sans souffle. J’ai voulu comprendre ce que cela dit de nous — et ce que cela change, quand on continue malgré tout à créer dans cet océan.



Une vignette d’une vidéo d’Arte, sur YouTube, a retenu mon attention il y a peu. J’y ai lu la chose suivante : « L’ère de la bouillie« . De quoi sacrément m’intriguer. D’autant plus que, en titre de la vidéo, on pouvait y lire : « L’IA va-t-elle tuer Internet ? » J’y découvre le concept de « slop« , qui signifie « bouillie » ou « déchets alimentaires » en français. J’entends que des livres entiers sont écrits par l’IA, puis vendus sans vergogne sur Amazon. Que des articles, creux, alignent titres et contenus sans rapport. Et, pire encore — moi qui suis atteint d’une certaine boulimie sonore — que des musiques générées par IA gonflent les playlists des plateformes. L’IA peut même aller jusqu’à créer des sites entiers… Je tombe un peu des nues : j’ai l’impression d’avoir raté tout un pan de l’évolution numérique. Je savais, bien entendu, qu’Internet oscille généralement entre du très bon et du très mauvais mais j’ignorais que cette « bouillie » venait s’immiscer dans le contenu classique.

Mais si l’IA a fortement accéléré le procédé, le slop n’est pas historiquement lié à l’intelligence artificielle. Il y a donc eu ce que l’on pourrait appeler du « slop humain« . Des sites spécialisés en « clickbait » — traduit par le disgracieux terme « putaclic » — ou en « content farms » — fermes à contenus… — qui n’ont d’autres objectifs que d’orienter les résultats des moteurs de recherche et à générer des revenus. Aujourd’hui, en creusant le sujet, je m’interroge également sur ma propre position de l’usage de l’IA comme accompagnateur de réflexion. J’en viens à culpabiliser et à me poser la question suivante : à collaborer avec l’IA, est-ce que je contribue, moi aussi, au slop d’Internet ? Je vais tenter de dérouler tout cela, de comprendre ses origines, ses risques — et surtout ce que cela dit de nous.

I. Le “slop” : genèse d’un concept de la médiocrité numérique

On connaissait déjà le « spam » désignant l’inondation de mails publicitaires ou d’escroquerie. Voici le « slop« . Le slop a la même conséquence, quoi que plus diffus et bien plus fourbe : une pollution globalisée qui s’infiltre dans toutes les interstices et toutes les strates de l’Internet. L’objectif est, encore une fois, de batailler pour capter l’attention des gens. Le slop, comme autrefois le spam, repose sur une vérité triviale mais implacable : l’attention humaine est une ressource finie. Ce n’est plus seulement une guerre pour les clics, c’est une guerre pour le temps de cerveau, pour l’énergie mentale du lecteur.

Le terme « slop » s’est imposé car il véhicule l’image puissante de quelque chose d’indistinct mais aussi de qualité très inférieure. Il évoque la mollesse, le manque de forme et de goût. Quand j’ai découvert le terme, il me semblait intimement relié à l’intelligence artificielle ; mais l’Internet n’a pas attendu les IA pour générer du contenu immangeable. Il y a aussi du « slop humain« , via ce que l’on appelle notamment les fermes à contenus (ce terme me met terriblement mal à l’aise me rappelant les pires industries agricoles intensives). Pour faire simple, si vous n’êtes pas familiers des coulisses de la création de contenus en ligne : chaque contenu doit tout faire pour être le plus visible possible dans l’océan d’informations disponibles.

On parle alors de SEO (Search Engine Optimization) ou optimisation pour les moteurs de recherche ou référencement naturel. Il y a des techniques de base plutôt saines qui permettent d’y répondre comme choisir des mots-clés pertinents, d’opter pour des contenus clairs et hiérarchisés (utilisation, comme je le fais pour ce site, de titre H2 ou H3, des listes à puces, etc.), un travail soigné sur les liens internes — renvoi sur un article du même site — et externes — projection vers un autre site — et surtout proposer une régularité de publications. Tout cela et d’autres paramètres plus techniques contribuent à mieux positionner un site ou un contenu que son voisin dans les premiers résultats lors d’une recherche en ligne. Le SEO peut se travailler gratuitement, cela demande surtout des compétences précises et du temps. Mais il y a aussi sa variante payante, plus efficace : le SEA. « A » pour « Advertising » (publicités). Les fermes à contenu — qui investissent dans ce SEA —, sont spécialisées dans du contenu ultra optimisé, mais au détriment d’une qualité de contenu.

📼 Pas de côté : le « slop » avant Internet — la bouillie analogique

On associe souvent le slop à l’intelligence artificielle et à la production automatisée de contenus. Pourtant, bien avant le numérique, l’humanité savait déjà fabriquer de la bouillie culturelle. La logique du flux existait — simplement plus lente, plus matérielle, moins mondialisée.

Dans les années d’avant, les romans de gare, les chansons commerciales recyclées, les sitcoms à épisodes interchangeables et les magazines à sensation jouaient exactement ce rôle : produire vite, plaire beaucoup, oublier aussitôt. Ce n’était pas encore du contenu de masse automatisé, mais déjà du contenu de remplissage — calibré pour combler le vide entre deux vraies œuvres, entre deux moments d’attention.

Le moteur était le même : l’économie de l’audimat, la publicité, le tirage, la rentabilité immédiate. La différence, c’est qu’un rédacteur, un studio, un imprimeur existaient encore derrière chaque production. Il y avait du labeur, de la main-d’œuvre, et même, parfois, un brin de sincérité malgré la standardisation.

Ce que cela révèle :
– Le slop n’est pas né d’un algorithme, mais d’un réflexe humain : la peur du silence, du vide, de l’attention inoccupée.
– Ce que l’IA a fait, c’est d’enlever la main d’œuvre et de rendre ce flux infini, sans friction ni coût.
– Autrement dit, la machine n’a pas inventé la médiocrité : elle l’a simplement émancipée de toute contrainte humaine.

En cela, le slop est moins une rupture qu’une continuité. Internet n’a pas inventé la soupe culturelle ; il l’a seulement mise en bouteille et distribuée à la vitesse de la lumière.

Mais, ce qui change avec l’intelligence artificielle, aujourd’hui, ce n’est pas le principe mais le rythme. L’IA n’a donc pas inventé le slop mais l’a automatisé et, surtout, l’a fortement accéléré. On a poussé les curseurs au maximum : SEO, SEA, tout est désormais optimisé à outrance. Le parasitage a pris une autre dimension. La machine est partie en roue libre ; on trouve de tout, mais surtout beaucoup de n’importe quoi. Personnellement, je suis triste de la tournure qu’a pris l’économie numérique. Surtout quand ça vient toucher à l’affect et au monde de la culture. A l’appauvrissement de la proposition générale d’Internet, ce fléau que représente le slop à la sauce IA vient également alimenter la critique contre l’intelligence artificielle. Pour beaucoup, cela vient incarner la dérive logique d’un système numérique obsédé par la quantité, l’optimisation et la rentabilité. Les critiques diront que cela confirme le fait que l’IA ne peut pas produire du savoir mais du bruit. Jugée impossible d’enrichir le web, l’IA serait taxée avant tout de le saturer de contenus creux. Mon ressenti est évidemment ambivalent… j’y trouve tellement mon compte pour déployer mes réflexions que j’ai parfois du mal à penser que l’on parle du même outil. Ci-dessous, deux types d’images que l’on retrouve très fréquemment dans les slop d’images. Des constructions impressionnantes, en matière organique (avec des accroches « clickbait » du genre : « telle personne à fait telle chose et personne ne va la féliciter…« ) ou des choses vraiment hors normes, comme de chats géants.

Exemples de slop produits par IASource : 20 minutes

II. Les mécanismes techniques et économiques du “slop IA”

Le « slop IA » s’inscrit pleinement dans cette économie algorithmique où tout le monde joue des coudes pour avoir sa place sur une une plage numérique ultra boudée. Mêmes les modèles de recommandation — ceux que l’on retrouve sur les réseaux sociaux notamment — ont été pensés pour maximiser l’engagement, le tout au détriment d’une éventuelle qualité. Et, pour chaque article écrit par un rédacteur humain, l’IA peut en produire des centaines dans la foulée… un amas de contenus respectant scrupuleusement les attentes du système, moins ceux de la curiosité intellectuelle humaine.

Sur le plan technique, l’apprentissage des IA est un engloutissement de nombreux corpus. Corpus bons ou mauvais, elle prend tout. Internet étant une mosaïque de contenus inégales, ce qui en ressort est souvent à peine dans la moyenne. Cela couplé à des injonctions à charmer les algorithmes et on obtient un résultat encore plus insipide que ce que peux produire l’IA quand on ne l’oriente pas du tout. Comme je le disais, en explorant ce sujet, j’ai cette nette impression d’une IA à deux visages. Celle qui produit en série, dans une usine, sombre, sale, polluée, un contenu sans couleur et sans goût pour générer du cash et des indigestions. Et celle qui se montre disponible au moindre de mes questionnements. Celle qui me donne l’impression d’apprendre sans cesse et de me remettre en question. Cela étant, j’ai interrogé (mon) ChatGPT sur le sujet. Il en ressort que la moyenne n’est pas forcément synonyme de médiocrité. La moyenne, c’est aussi ce qui rend le discours accessible et compréhensible, et c’est une chose que je valide complètement. Elle me dit valoriser la clarté à l’originalité. Ce manque d’originalité qui fait partie des critères pour reconnaître, dit-on, un contenu conçu ou non par une IA. « Sans ce dialogue (avec l’humain), je ne serais qu’un moteur de probabilité » me rappelle-t-on. Et c’est bien ça le problème d’une gestion en circuit fermé de l’lA.

Le « model collapse«  : impression sur impression

Source : image récupérée de ce blog très sympa avec plein de petites réflexions sur l’IA

L’une des conséquence d’une production à grand échelle de contenus est un phénomène que je trouve très intéressant : celui du model collapse. Au fur et à mesure que l’IA génère à partir de contenus purement humains, l’Internet se remplit de contenus artificiels. Ces mêmes contenus artificiels se présentent ensuite comme nouvelle alimentation à l’IA qui vient s’en inspirer, faisant rentrer le processus dans un cercle vicieux d’auto-alimentation. Résultat : fiabilité, précision et créativité davantage en baisse à chaque nouvelle itération. C’est un peu l’effet d’une photocopie dont on prend à chaque fois la version imprimée pour la rephotocopier derrière. Il suffit de voir l’image ci-dessus, on voit que l’idée reste la même mais que le pauvre gars perd peu à peu de son humanité. Pour des entreprises, types OpenAI, qui cherchent à proposer une prestation de qualité avec son agent conversationnel ChatGPT, on promet un filtrage massif des données, des partenariats avec des institutions très sérieuses (on évoque notamment un accord avec la Bibliothèque nationale de France) pour assurer des apprentissages de qualité ou encore du watermarking, filigranes numériques invisibles permettant de différencier l’origine du contenu. Ca me rassure un peu mais dans quelle mesure est-ce vraiment respecté ?

Internet est mort… vive Internet ?

Dans la continuité du concept de model collapse vient s’ajouter celui de l’Internet mort (de l’anglais « Dead Internet Theory »). La crainte d’un Internet de plus en plus artificiel a fait naître la croyance que ce dernier serait à terme uniquement composé d’entités artificiels. L’idée est antérieure à l’apparition grand public des IA telles qu’on les connait aujourd’hui. En milieu des années 2010, on estimait déjà que l’activité humaine organique avait largement été remplacée par des bots ou autres algorithmes. Jusqu’ici, je ne me suis pas trop risqué à parlé de chiffres ou de pourcentages mais en 2020, on parlerait d’un trafic mondial artificiel montant à 40 %. En 2024, la part aurait grimpé à 50 %. Un contenu sur deux, donc. Derrière le catastrophisme de cette théorie, je reste mesuré. L’artificialisation ou l’automatisation du web, ça peut notamment passer par un simple chatbot « SAV« , par exemple. J’y ai eu recours, il y a quelques mois, via WordPress. J’avoue que ça ne m’inquiète pas particulièrement surtout quand ça permet de gérer des problématiques de façon très neutre en accord avec le contrat de tel ou tel service. Ca va droit au but. Je n’ai jamais été soumis à un site entier conçu par l’IA, je n’ai jamais été tenté de commander un livre artificiel dont je ne sais rien du tout — même un livre normal je cherche à en savoir un peu plus sur l’auteur avant d’y investir temps et argent. J’ai dû entendre à un moment, sur une playlist de musiques, sur Spotify, des sons générés par une IA, mais je ne m’en suis pas rendu compte. Je ne sais pas si Internet est mort, mais j’y suis, en tout cas, moi, bien vivant.

III. Esthétique sous algorithme : vers la fin du goût humain ?

Derrière le slop ici numérique, et désormais dopé par l’IA — se manifeste une rationalité comptable qui s’étend à tous les domaines de l’existence. Cette logique, fondée sur la mesure et la rentabilité, relègue la culture et la créativité au second plan. Dans cette économie de la donnée, le beau, le singulier, le risqué ne sont pas seulement ignorés : ils sont disqualifiés parce que non rentables. Et cette logique n’est pas propre au numérique ; on la retrouve aussi dans le champ politique, où la culture figure souvent parmi les premières victimes des politiques d’austérité. Le slop boosté à l’IA n’est donc pas une simple pathologie du web, mais un symptôme civilisationnel : il révèle la manière dont notre époque pense et valorise le monde. Peu à peu, cette logique ne transforme plus seulement la production : elle façonne aussi nos sens. Le calcul de rentabilité s’immisce dans l’esthétique même, et le slop passe du bruit au décor celui d’une uniformisation du sensible.

Vers une homogénéisation du sensible ?

J’en ai parlé plus haut : l’intelligence artificielle tire ses idées d’une moyenne. Elle cherche le juste milieu, le terrain neutre, l’endroit où rien ne dépasse. À force de vouloir plaire à tout le monde, elle finit par tout lisser : les formes, les goûts, même le sensible. Mais au fond, peut-on lui reprocher d’imiter ce que l’on fait déjà ? On a, nous-mêmes, cette tendance à la répétition, à la sécurité, à la formule éprouvée. Dans la fiction, c’est flagrant : combien d’histoires recyclent les mêmes ressorts, les mêmes archétypes ? En ce moment, je joue à un jeu vidéo bâti — encore — sur une vieille histoire de vengeance. Et pourtant, ce n’est pas du slop. C’est propre, cohérent, vivant. Ainsi, la redite, quand elle est habitée, peut encore vibrer. Le problème, c’est quand elle devient système : quand le déjà-vu remplace la vision, quand la forme prend le dessus sur l’intention.

Cette uniformisation, les critiques d’art et de design l’ont appelée dans les années 2010 l’ »aesthetic flattening«  l’aplatissement esthétique. C’est ce moment où tout finit par se ressembler : les visages, les paysages, les musiques, les interfaces. Les algorithmes gardent ce qui fonctionne, ce qui ne heurte personne. Rien de vraiment neuf, pourtant. Dès les années 1940, Theodor W. Adorno et Max Horkheimer parlaient déjà d’“industrie culturelle” pour décrire une production artistique standardisée, taillée pour plaire à tous et surtout ne déranger personne. L’IA ne fait que reprendre cette logique, mais à une vitesse et une échelle que les deux philosophes n’auraient sans doute jamais pu imaginer. Quand une IA génère une image, le mécanisme est le même : elle cherche la moyenne, ce point d’équilibre entre des milliards de possibles. Et c’est bien là que je m’agace : sans contrainte claire, elle retombe toujours sur le banal. Il faut du temps, du doigté, presque une forme d’artisanat, pour la faire dévier de cette moyenne et lui faire toucher quelque chose d’un peu humain — du style, de la surprise, une imperfection assumée.

La disparition de la “signature” humaine

Dans le slop, on perd la signature de la main humaine. Les textes semblent flotter sans auteur, les images sans regard, les sons sans souffle. Comme je le disais, le sujet du slop m’est parvenu après coup, alors que je vis dans le même numérique que tout le monde. J’ai pourtant réussi, du moins je le crois, à m’en prémunir : il y a des choses auxquelles je n’ai jamais été soumis, des réflexes que j’évite consciemment. Ma seule expérience concrète, c’est ce blog — un espace où j’essaie de ne pas me laisser engloutir par l’intelligence artificielle. Mais c’est sans doute pour cela que cette question me hante autant : je sens la frontière devenir poreuse. J’ai parfois le sentiment d’assister à la dilution du geste humain… et, je l’avoue, d’être à la fois inquiet et fasciné par ce processus.

Quand je relis mes textes, je ne sais plus toujours ce qui vient de moi. À force de peigner, d’affiner, d’ajuster, mon écriture passe par le filtre de l’IA — et quelque chose s’y perd forcément. Le geste devient partagé, presque flou. Je ne triche pas, mais je collabore avec une logique qui, par nature, tend au lissage. Je retrouve dans mes phrases certains de ses tics, comme ce tiret cadratin (lui : « — ») que j’emploie désormais sans y penser. Je me tiens entre deux postures : celle du rédacteur attentif à la forme et celle du contributeur d’un flux où la forme compte moins que la visibilité. Avant de continuer sur ces réflexions éthiques, je vous propose une projection qui me semble intéressante : que ce passera-t-il quand l’IA sera à un point performante qu’elle pourra à la fois proposer du quantitatif « SEOisé » et du qualitatif ?

🤔 Pas de côté : quand la bouillie apprendra à feindre la main

On parle aujourd’hui du slop comme d’une masse informe, produite trop vite et sans soin. Mais que se passera-t-il lorsque les intelligences artificielles sauront — et je suis persuadé que cela arrivera — imiter non seulement la qualité, mais aussi les maladresses humaines — ces petites aspérités, ces tremblements qui donnent vie à une œuvre ?

Ce jour-là, la bouillie ne sera plus grossière… mais crédible. Les textes sembleront écrits à la main, les voix auront des respirations, les images des accidents maîtrisés. Autrement dit, la machine aura appris à simuler la fragilité et à faire semblant d’avoir une âme.

Le plus troublant, c’est que cette nouvelle beauté, produite à la chaîne, poursuivra la même ambition que la précédente : inonder le web. Remplir les moteurs de recherche, séduire les algorithmes, produire sans fin pour rester visible. La perfection n’y changera rien : le flux restera le même. Seule la texture du trop-plein aura changé.

Ce futur n’a évidemment rien d’enviable. Ce n’est plus la médiocrité qui menace la création, mais l’indifférenciation. Les créatifs humains auront du mal à se distinguer et les passionnés de culture, eux, à savoir où poser leur regard. Quand tout semblera “bien fait”, il ne restera peut-être plus que la fatigue du trop-plein.

IV. Produire ou résister : peut-on créer sans nourrir le slop ?

Je me demande souvent comment écrire, créer ou simplement exister dans ce flux sans l’alimenter. Il y a encore quelques mois, ChatGPT et ce qu’on appelle aujourd’hui le slop n’étaient pour moi que des notions floues, presque abstraites. J’ai mis du temps à comprendre ce qui distingue un contenu simplement produit d’un contenu réellement voulu : cette fameuse intention. L’IA peut générer, combiner, imiter. Mais elle ne désire rien. Elle ne manque de rien. Elle ne cherche pas : elle calcule. Écrire, pour moi, part toujours d’autre chose — d’un manque, d’une question, d’un désir de comprendre ou d’imaginer. C’est fragile. Parfois ça échoue, parfois ça s’épuise. La moitié de mes textes commencés sur ce blog ne se termineront sans doute jamais. Mais il y a malgré tout, dans cet inachèvement, quelque chose d’humain : une volonté, même maladroite.

C’est là que naît l’ambivalence. Je fais tout pour ne pas participer aux tendances IA comme ces portraits générés façon Ghibli (le studio d’animation japonaise). Mais je ne peux pas dire que je sois totalement en dehors. J’ai moi-même cédé une fois au jeu du “starter kit” — en transformant mon chien en figurine sous plastique. Rien de grave. Juste un geste amusé. Mais qui fait partie du flux. Et c’est bien ça qui me trouble : il ne s’agit plus seulement de l’impact énergétique des IA, mais de ce geste minuscule — publier quelque chose — qui ajoute malgré tout une goutte de plus dans l’océan numérique. Que ce soit un chef-d’œuvre, un mème ou une image générée, cela entre dans le même circuit : indexé, stocké, recommandé, recyclé.

Le plus ironique dans tout cela, c’est que je culpabilise tout en sachant que ce n’est pas moi qui produit le slop industriel commandité par les grandes plateformes, celui pensé pour saturer l’espace, capter l’attention et générer du profit. Si je voulais vraiment ne pas y contribuer, il n’y aurait qu’une seule solution cohérente : me retirer. Fermer les écrans, disparaître des plateformes et reprendre la parole uniquement hors-ligne. Mais ce n’est pas ce que je veux. Pas par dépendance uniquement, mais parce que je tiens à cet espace. Comme souvent quand j’explore un sujet de ce genre, j’espère qu’au fil du déroulé, je vais trouver une trappe que personne n’a trouvé, où je trouverai la solution à ces compromis de l’Internet d’aujourd’hui. Je sais bien que cet état des lieux ne change rien. Je ne stoppe ni les fermes à contenus, ni les livres générés à la chaîne, ni les plateformes qui monétisent la bouillie. Tout ce que je peux faire, c’est prendre acte. Et décider comment, malgré tout, j’habite ce monde-là. Alors, plutôt qu’une solution, j’entrevois une posture : rester dans le flux, mais ne pas se laisser dissoudre. Créer, mais pas pour remplir. Utiliser l’IA, mais sans lui abandonner le geste. Laisser une trace, même minuscule, qui ne soit pas complètement interchangeable.

V. Sources et ressources

Articles, documentaires et enquêtes

Livres et essais pour approfondir


Charte de transparence IA

🧠 Idée : 100 % humaine

📁 Structure : Plan général co-construit avec l’IA à partir de mes indications. L’organisation en sections et sous-parties reste validée et adaptée par moi.

✍️ Rédaction : Texte rédigé à la main, puis relu, enrichi ou reformulé ponctuellement avec l’aide de l’IA (propositions de tournures, transitions, vérification de cohérence). Aucun passage n’a été généré puis intégré tel quel sans réécriture.

🎨 Illustration :

  • Image à la une : générée par IA.
  • Illustration du model collapse : issue d’un site tiers (source citée).
  • Image de malamute d’Alaska : générée par IA.

Intervention globale de l’IA estimée : 30 %

ℹ️ Note méthodologique : cette estimation reste subjective. Fait amusant : injecté dans un détecteur d’IA comme GPTZero, ce texte ne serait “reconnu” qu’à moins de 10 % d’IA. Preuve, s’il en fallait, que ces outils mesurent des régularités statistiques, pas l’origine d’une pensée.


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2 réponses à « Le « slop » : la bouillie numérique au service des algorithmes »

  1. Avatar de sensationallytaco26428e0437
    sensationallytaco26428e0437

    je suis exactement dans la même démarche. J’ai regardé le docu et je suis entrain de lire Technopolitique d’Asmah Mhalla (c’est fort intéressant)…. Dans mon métier, où on doit finalement extraire l’information du tout venant (et alors même que je travaille avec des universitaires censés en comprendre les tenants et aboutissants) la question de l’IA est forcément prégnante. Il y a une confusion entre le côté miraculeux du « machin » ( que j’utilise au niveau perso et pro, hein) et ses limites. Qui sont immenses mais aussi ultra intéressantes. A quoi peut nous servir l’IA ? Jusqu’où et comment ?

    Et aussi comment pouvons nous faire confiance à ce que nous voyons, entendons, lisons ? Tout est sujet à suspicion.

    Et pourquoi pas ? Pour être un peu constructive… C’est la victoire ou la défaite de l’esprit critique… Je réfléchis à l’éducation aux médias à donner à mes enfants. Ce que je fais depuis des années…Nous avons été sensibilisés dans notre génération, la propagande, ses dangers, tout ça.

    Aujourd’hui c’est (re)devenu un enjeu d’avenir, de démocratie, peut être même de survie…

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    1. Avatar de Gael Barzin

      Hello. Je note pour la référence du bouquin. C’est quand même très audacieux d’analyser la technologie à l’échelle de la planète entière. En fait, l’IA est prégnante partout… ça change absolument tout. Ne serait-ce qu’hier où ça parlait sur France Inter de ces fameux brouteurs – ces personnes, souvent originaires d’Afrique, qui pratiquent l’arnaque sentimentale -, le jour où le deepfake est vraiment au point et accessible à tous… on ne pourra plus du tout faire confiance à un échange par écran interposé. Quoi qu’il existe quand même des astuces pour vérifier. Aujourd’hui, en mettant une feuille à moitié sur la caméra, on peut faire disjoncter le filtre deepfake… mais c’est naturellement en passe d’être contourné…

      C’est exactement cela : tout devient sujet à suspicion. On ne pourra plus se perdre comme on l’a fait pendant tellement d’années en se disant simplement que ce sur quoi on braque notre attention est juste bon ou mauvais ou inadaptés à nos goûts. Après, comme je le dis dans ce texte, le vrai moteur d’une proposition intellectuelle et/ou culturelles c’est l’intention. Mais au final, même si pour le moment c’est encore une caractéristique purement humaine, on pourrait très bien assister à un glissement où l’IA arrivera à son tour à la singer. Ca va créer un gros traumatisme au monde de la création humaine et je ne sais pas comment ce dernier va rebondir. A titre personnel, je dirais que c’est moins le fait de qui me ressentir quelque chose que de ce que je ressens réellement qui m’importe le plus… et je dis ça sans doute parce que je ne suis pas un grand créatif.

      En fait, tu parles d’esprit critique, et j’en suis un des plus grands défenseurs, mais ça sous-entend peut-être que l’IA ne peut ou ne pourra pas créer de pertinence… celle que l’on cherche avec cet état d’esprit justement. Je viens d’échanger avec ChatGPT de ce jour où l’IA pourra vraiment créer suite à un besoin réel (celui qui pousse un artiste à se lever en pleine nuit car il a l’inspiration) ou faire croire à un vécu incarné. Et c’est, comme souvent, vertigineux. Pour revenir sur l’esprit critique, « il ne s’agira plus de distinguer le vrai du faux, mais le vécu du simulé. »  Et je suis assez d’accord. Bref, encore une fois, avec l’IA, on avance à tâtons dans une pièce plongée dans l’obscurité !

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QUI SUIS-JE ?

Portrait manga de Gaël Barzin

Le Rédacteur Moderne est une proposition simple — presque artisanale — née d’un besoin personnel : mettre des mots sur l’absurde, gratter le vernis du monde, et tenter de comprendre un peu mieux ce qui nous traverse.

J’y partage, sans prétention mais avec sincérité, des essais critiques, des fictions d’anticipation, et des réflexions sur l’éthique, la conscience, les tensions de notre époque.

J’explore les tensions entre lenteur et modernité, en mobilisant à la fois la pensée humaine et les outils technologiques contemporains — notamment l’intelligence artificielle, qui m’accompagne comme sparring-partner intellectuel.

Si ces fragments de pensée peuvent résonner avec d’autres, tant mieux. Sinon, ils m’auront au moins permis de rester un peu plus vivant.

— Gaël Barzin

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