Comment naît la perception d’« extrême » ? Entre biais cognitifs, normes sociales et frontières mouvantes, ce texte explore la relativité de nos jugements. De l’étiquetage de Goffman à la fenêtre d’Overton, en passant par Foucault et l’éthique animale – le combat de ma vie -, il interroge ce qui fait basculer une idée du marginal au banal.
- I. L’illusion d’objectivité
- II. Le biais du centre : chacun se croit raisonnable
- III. “Trop loin” : un jugement situé et intéressé
- IV. Temporalité de l’extrême : l’extrémisme d’hier devient la norme de demain
- V. Subjectivité et imbrications
- VI. Ouverture : peut-on dépasser la subjectivité de l’extrême ?
- VII. Sources et ressources pour aller plus loin
Le cheminement de l’être humain suit souvent une trame commune : on naît avec des convictions floues qui, au fil des apprentissages, des rencontres et des réflexions, se précisent. Parfois, elles s’accordent à la normalité ambiante, se fondant dans un décor préconstruit, presque imperceptible. Parfois, elles s’en écartent fortement. C’est là que surgit la perception d’extrémité, et, avec elle, l’étiquette d’“extrémisme”. Comme tout le monde, j’ai grandi dans un cadre fait de conventions, de normes, de généralités. J’y ai appris que certaines idées appartenaient à la “normalité” collective, quand d’autres en déviaient. L’extrémisme, m’a-t-on enseigné, désignait avant tout des idéologies ou comportements jugés — et ce terme est capital, à mon sens — excessifs, radicaux, incompatibles avec le dialogue démocratique. Dans cette acception la plus commune, il évoque rigidité, intolérance, et, inévitablement, violence. Choses que je réprouve totalement, et c’est important de le dire puisque l’extrémisme est, dans la pensée collective, négatif en tout point.
Mais l’extrémisme n’est pas toujours cela, et c’est sur cela que j’aimerais me plonger dans ce texte. Il peut aussi désigner une simple position opposée à une autre, un écart neutre par rapport à la norme. En ce sens, il n’est pas une essence mais une étiquette relative, située culturellement et idéologiquement. Ce qui est qualifié d’extrême n’est donc pas objectif, mais profondément subjectif. C’est dans cette zone grise que je m’inscris, végane, souvent perçu comme à l’autre bout de la normalité. C’est en discutant de ce sujet avec mon père qu’il m’a dit que, même s’il acceptait de consommer une alimentation végétalienne en ma présence (et merci à lui pour cela), il trouvait que j’étais « tout de même un peu extrême« . Je n’avais pas grand-chose à répondre à l’époque, puis m’est venu l’idée d’un curseur qui se balade d’un point à l’autre – selon les personnes, le contexte, l’éducation et les convictions qui viennent s’y greffer. Ce décalage entre ce que je vis et la manière dont c’est perçu révèle bien, à mon sens, la nature relative et mouvante de ce que nous appelons l’extrémisme. Et la théorisation de ce sujet montre bien que tout est relatif. J’aimerais ainsi explorer cette notion, la relativiser et montrer qu’elle est non seulement située culturellement et idéologiquement, mais aussi chronologiquement. Car ce qui paraît extrême aujourd’hui peut sembler demain évident, banal ou même nécessaire.
I. L’illusion d’objectivité
Pendant longtemps, j’ai été dans la norme, invisible, dans le rang. L’extrémisme n’était pour moi qu’un mot lointain, presque extraterrestre, entendu ici ou là à la télévision ou à la radio. Dans mon esprit, il désignait des gens très éloignés de mon quotidien, des personnes ayant subi un lavage de cerveau et prêtes à se faire exploser pour une cause incompréhensible. Puis, en m’engageant pour la défense des droits des animaux, j’ai découvert que ce mot s’était, aux yeux de certaines personnes, subitement appliqué à moi. Il est devenu l’une de mes caractéristiques. Mon père lui-même, sans méchanceté, me l’a dit : selon ses normes, j’allais trop loin.
Mais trop loin par rapport à quoi ? C’est là que j’ai commencé à réfléchir à cette notion d’extrémité. J’ai relevé assez naturellement ce que j’appelais jusque-là un point de vue référentiel — que nous possédons tous. En psychologie, on parle d’ancrage ; en sociologie, de cadre de référence. Ce cadre est chargé de récits que l’on nous transmet depuis l’enfance, souvent à chaque repas, au point d’en devenir invisible. J’ai compris par la suite que ce cadre de référence était l’un des éléments les plus situés qui nous concerne : à l’instar des biais cognitifs en psychologie, il déforme notre vision du monde et façonne notre jugement de ce qui est “extrême” ou “normal”.
Nous jugeons toujours par rapport à quelque chose ; cette perception a donc plusieurs noms mais concerne le même phénomène. Elle détermine ce que nous considérons comme « normal », « excessif » ou « extrême ». Et cela peut s’expliquer par plusieurs mécanismes. On a le fameux biais de centralité (sur lequel j’avais proposé un déroulé étendu), soit le fait de percevoir tout de son propre point de vue (éducatif, culturel, etc.), le biais d’ancrage, quand nos estimations et nos jugements se construisent à partir d’une valeur initiale (un prix, une norme, une idée reçue) et qui influence tout le reste. Ce mécanisme explique pourquoi nous percevons certaines positions comme radicales ou modérées selon notre point de départ mental.
En sociologie, le Canadien Erving Goffman a montré que nos expériences s’inscrivent dans des cadres d’interprétation (« frames ») qui donnent sens aux événements. Ces cadres, invisibles mais puissants, hiérarchisent nos perceptions : ce qui est « au centre » paraît naturel, ce qui est en marge paraît « extrême ». La construction sociale de la déviance (Howard Becker) prolonge cette idée : un comportement devient « déviant » quand la société lui appose cette étiquette. L’extrémisme est ainsi moins une essence qu’une catégorie sociale, évolutive et négociée. Ce qui est marginal dans un contexte peut être central ailleurs : par exemple, le végétarisme en Inde est une pratique largement partagée, tandis qu’en France il reste souvent perçu comme atypique. Cette relativité des normes illustre à quel point nos cadres de référence sont culturellement situés. Enfin, la fenêtre d’Overton illustre la dimension temporelle : les idées jugées impensables peuvent devenir acceptables, puis dominantes. Ce qui est « extrême » aujourd’hui peut être « banal » demain, simplement parce que le cadre a changé.
Comprendre nos points de référence et leur origine (culture, éducation, médias) est essentiel pour relativiser nos jugements et voir comment l’étiquette « extrême » se construit. C’est un moyen concret d’élargir notre horizon et d’éviter de confondre norme dominante et vérité objective. Après avoir montré que tout jugement part d’un point de référence, voyons comment chacun se perçoit comme centre neutre.
II. Le biais du centre : chacun se croit raisonnable
Parce que nous nous voyons comme le “juste milieu”, voire la juste mesure, nous plaçons spontanément l’autre en excès. C’est ce que la psychologie cognitive appelle le biais de centralité, cette tendance égo- et socio-centrée à penser notre position comme neutre et l’autre comme extrême. Cette illusion se traduit par un extrémisme symétrique : chaque camp juge l’autre “trop”. Quand j’étais omnivore, je trouvais les véganes intransigeants ; aujourd’hui végane, je trouve l’omnivorisme extrême sur le plan alimentaire. Rien n’a changé dans la pratique elle-même : c’est mon curseur qui s’est déplacé. Ce déplacement du curseur n’est pas qu’intellectuel : il m’a parfois coûté des liens, provoquant des malentendus ou des ruptures avant d’être compris. Il m’a également fait passer du statut de “normal” à celui de “marginal”, ce qui change profondément la vie en société. Aujourd’hui, je souffre souvent en silence, respectant au mieux les règles implicites de mon entourage, même lorsque je vois quelqu’un consommer un produit animal : pour moi, c’est devenu aussi choquant que d’assister à une opération chirurgicale où l’on prélèverait un morceau du patient pour le manger (ce qui doit vous paraître extrême comme métaphore, et c’est sans doute assez naturel).
Ainsi, ce qui me paraissait jadis banal et raisonnable — consommer des produits d’origine animale — me semble aujourd’hui radical et empreint d’une violence sourde, généralisée et surtout ignorée. Et mes propres choix, que d’autres trouvent extrêmes ou exagérés, me paraissent désormais modérés, presque évidents et justes. Ce renversement illustre parfaitement le biais du centre : chacun place sa propre position comme point zéro et observe l’autre comme “trop loin”. C’est précisément ce déplacement de repères qui rend l’extrême si relatif et mouvant. Or, ce biais du centre n’agit pas dans un vide rationnel : il se nourrit d’émotions puissantes. Peur de perdre ses repères, irritabilité face à la contradiction, sentiment d’être menacé par “l’autre camp”… Ces émotions ne font pas qu’accompagner le biais : elles le renforcent et lui donnent une intensité viscérale. C’est à ce point de jonction, entre cognition et affect, que se construit notre perception de l’extrême. Mais cette croyance n’est pas qu’individuelle : elle se traduit socialement par des étiquettes, stigmates et processus d’exclusion.
III. “Trop loin” : un jugement situé et intéressé
L’ancrage invisible de nos jugements
Qualifier quelqu’un d’« extrême » n’est jamais un simple constat descriptif. C’est un acte performatif qui agit sur l’autre : il classe, hiérarchise et délégitime. En l’appelant « extrémiste », on ne discute plus ses arguments sur le fond ; on neutralise d’emblée sa parole en la plaçant hors du champ légitime. L’accusation d’extrémisme est donc à la fois un instrument rhétorique et un outil de contrôle social. Elle fonctionne d’autant plus facilement que nos jugements reposent, comme je le disais, sur un point de départ implicite. En psychologie cognitive, on parle de biais d’ancrage : nos estimations et nos jugements se construisent autour d’une valeur initiale — nos habitudes, nos normes culturelles, nos expériences — qui sert de repère implicite. Plus cet ancrage est fort, plus l’écart nous paraît extrême. Ce mécanisme fixe silencieusement le curseur de ce qui semble “trop loin” et donne à l’étiquette d’extrême son apparente évidence.
🧭 Focus : Biais d’ancrage vs biais de centralité
Parce que les deux concepts sont plus ou moins proches, voici de quoi les différencier :
Biais d’ancrage
Définition : nos jugements et estimations se construisent autour d’une valeur initiale qui tire inconsciemment nos décisions.
Exemples :
– Un prix de départ élevé dans un magasin influence ce qu’on juge « cher » ou « pas cher ».
– Dans le débat social, nos normes de départ (culturelles, religieuses, générationnelles) déterminent ce que nous trouvons « extrême » ou « modéré ».
Biais de centralité
Définition : nous avons tendance à nous percevoir comme le « juste milieu » et à placer les autres en excès.
Exemples :
– En politique, chaque camp se voit « raisonnable » et qualifie l’autre d’« extrême ».
– Dans l’alimentation, un omnivore juge le végane « extrême » ; le végane juge l’omnivore « extrême » — chacun se pense au centre.
Comment ils s’articulent
– Ancrage = le point de départ implicite (normes, habitudes, prix).
– Centralité = la place qu’on s’y donne (le centre « neutre »).
– Résultat : ensemble, ils construisent une grille invisible qui définit pour chacun ce qui est « trop loin » et donc « extrême ».
Être réduit à un seul trait
La sociologie d’Erving Goffman éclaire ce mécanisme avec le concept de stigmate. Pour Goffman, une identité sociale ne se réduit pas à ce que l’individu est, mais à la façon dont il est perçu et étiqueté. Le stigmate n’est pas seulement une différence objective : c’est une marque construite socialement, qui transforme cette différence en disqualification morale ou sociale. Ainsi, le militantisme radical, le mode de vie atypique ou l’opinion minoritaire deviennent des « signaux » qui permettent d’apposer une étiquette dévalorisante. Je l’ai expérimenté moi-même : depuis que je suis végane, je vois comment un simple choix alimentaire devient, aux yeux de certains, un signal qui me définit tout entier. Je ne suis plus “Gaël qui aime écrire, réfléchir, jouer au jeu vidéo et faire du sport”, mais “Gaël le végane”. Ce raccourci m’a fait sentir dans ma chair ce que décrit Goffman : le stigmate n’est pas seulement une différence, c’est une étiquette qui écrase tout le reste et m’enferme dans une identité simplifiée.
Et ce que Goffman décrit à l’échelle de l’interaction, Howard Becker l’analyse à l’échelle collective. Sa théorie de la “construction sociale de la déviance” montre que ce n’est pas l’acte en lui-même qui est “déviant” ou “extrême”, mais le processus par lequel un groupe social l’étiquette ainsi. Depuis que je suis végane, je le vois bien : ce n’est pas mon geste alimentaire en soi qui change tout, c’est la manière dont il est interprété, comment il est commenté, relayé, caricaturé. Plus je m’écarte des habitudes majoritaires, plus je deviens un cas étiqueté. Avec Becker, je comprends que je ne suis pas “déviant” par nature : je suis rendu déviant par l’étiquette qu’on appose sur moi. Ce mécanisme d’étiquetage n’est pas figé : il s’inscrit dans une temporalité. Ce qu’un groupe stigmatise aujourd’hui peut devenir demain une pratique banale ou même valorisée. C’est exactement ce que décrit la “fenêtre d’Overton” : le cadre du pensable et du raisonnable se déplace dans le temps, redéfinissant sans cesse ce qui est vu comme extrême ou normal.
IV. Temporalité de l’extrême : l’extrémisme d’hier devient la norme de demain
Comme je le disais, l’extrémisme est également situé chronologiquement. Nos croyances d’aujourd’hui sont parfois diamétralement opposées à celles du siècle dernier ou d’un passé plus enfoui. Cela prouve bien que, une fois de plus, de leur subjectivité. Beaucoup d’idées jugées excessives deviennent un jour banales – abolition de l’esclavage, féminisme, écologie radicale. Ce glissement illustre ce que l’on appelle la fenêtre d’Overton : ce qui est impensable aujourd’hui peut devenir demain une évidence. Mais le mouvement est réversible : un extrême peut aussi redevenir marginalisé si le cadre change. Ce concept a été formulé par Joseph P. Overton, analyste politique américain. Son idée est la suivante : un politicien ne peut promouvoir que des idées situées “dans la fenêtre” (d’Overton, donc) de ce que l’opinion publique trouve acceptable. Pour faire passer des réformes “radicales”, il faut d’abord déplacer cette fenêtre (faire évoluer l’opinion, changer les mots, multiplier les discussions). Son concept n’émet aucun jugement de valeur, il ne dit pas si quelque chose est bon ou mauvais, il décrit simplement un phénomène sociopolitique. La fenêtre Overton est représentée en plusieurs étapes allant de l’impensable à la norme institutionnalisée (ou inversement) :
🔎 Focus : Les étapes de la fenêtre d’Overton
La « fenêtre d’Overton » décrit les différents niveaux d’acceptabilité publique d’une idée. Elle n’est pas linéaire : une idée peut avancer ou reculer d’un palier à l’autre.
Tabou moral ou interdit social. À ce stade, l’idée est jugée scandaleuse, immorale ou impensable. Elle n’est pas seulement minoritaire, elle est exclue du débat public et entraîne souvent une condamnation sociale ou juridique.
Extrême mais évoqué. L’idée reste marginale et choque encore la majorité, mais elle commence à être mentionnée dans des cercles militants, universitaires ou underground. Elle devient visible sans être socialement tolérée.
Débats publics émergents. Les médias et les acteurs publics commencent à aborder le sujet sans tabou complet. L’idée n’est plus considérée comme purement choquante mais comme controversée, discutée dans l’espace public.
Idée minoritaire mais défendable. Elle dispose d’arguments légitimes et de porte-paroles reconnus. On la retrouve dans des tribunes, des débats politiques et des sondages. Elle gagne en crédibilité intellectuelle ou morale.
Majoritaire, normalisée. L’opinion publique l’accepte et l’intègre comme un choix social possible. L’idée devient « mainstream », adoptée par des leaders d’opinion et intégrée aux programmes politiques dominants.
Inscrite dans la loi ou les normes officielles. À ce stade, l’idée est stabilisée, protégée et parfois même encouragée par des dispositifs publics. Elle est passée du domaine de l’opinion à celui des institutions.
↕ Les doubles flèches rappellent que la fenêtre peut se déplacer dans les deux sens, selon les événements, les rapports de force et l’évolution culturelle.
Pour ce faire une idée plus concrète, je vous propose ici l’expression de cette fenêtre d’Overton sur des sujets très sensibles au début puis, progressivement, basculant sur une acceptation de plus en plus généralisée. J’y inclus ce qui m’anime aujourd’hui en dernier exemple :
La fenêtre d’Overton décrit également le processus inverse, soit des usages et coutumes banalisées qui perdent petit à petit de leur normalité pour devenir davantage que de l’extrémisme, une pratique complètement impensable aujourd’hui :
Qui déplace la fenêtre d’Overton ?
Notez que la fenêtre d’Overton ne se déplace jamais seule. Elle est déplacée par des forces concrètes : médias, scandales, figures charismatiques, changements lexicaux, catastrophes. Les campagnes médiatiques ou les révélations choc font souvent basculer la perception publique : #MeToo a transformé en quelques mois la perception du harcèlement sexuel ; Fukushima a rendu l’antinucléaire “raisonnable” dans des pays où il était marginal ; et le Covid-19 a normalisé du jour au lendemain des mesures impensables (confinement massif, télétravail obligatoire, port du masque). Les figures emblématiques déplacent aussi la fenêtre : Greta Thunberg pour l’écologie, Angela Davis pour l’abolition des prisons, Malala Yousafzai pour l’éducation des filles. Les changements de vocabulaire participent à l’élargissement du champ du pensable : de “mariage gay” à “mariage pour tous”, de “retraite” à “revenu universel”, ou encore la “dé-diabolisation” du Front National. Les événements catalyseurs jouent leur rôle : les printemps arabes ont fait exister publiquement des revendications longtemps jugées irréalistes ; l’effondrement du Rana Plaza a accéléré les débats sur l’éthique de la mode ; les scandales climatiques (COP, rapports du GIEC) déplacent régulièrement le curseur de l’urgence écologique. Même la chasse à la baleine ou le travail des enfants illustrent ce mouvement inverse, passant de norme économique à tabou moral. À l’inverse, certaines idées restent bloquées “hors fenêtre” malgré un plaidoyer constant — légalisation des drogues dures, abolition des prisons, revenu universel mondial — preuve que la fenêtre n’est ni automatique ni linéaire mais le produit de luttes, d’intérêts et d’événements.
🌱 Focus : Qui déplace la fenêtre d’Overton sur le véganisme
La progression du véganisme dans l’espace public n’est pas spontanée. Elle est portée par des acteurs, des événements et des évolutions culturelles. Ensemble, ils élargissent progressivement le champ du pensable.
Figures emblématiques
Personnalités charismatiques qui incarnent ou relaient l’éthique animale et l’urgence climatique.
Exemples : Greta Thunberg évoque l’alimentation végétale ; chercheurs, écrivains, influenceurs et sportifs vegan rendent l’enjeu concret et désamorcent les stéréotypes.
ONG et associations
Structures militantes qui mènent enquêtes, campagnes et actions juridiques pour faire évoluer normes et législation.
Exemples : L214 en France, PETA à l’international, Humane Society ; vidéos d’abattoirs, campagnes sur l’impact environnemental, plaidoyer politique.
Entreprises et start-up
Rendent le choix vegan accessible et attractif, transformant une pratique minoritaire en consommation courante.
Exemples : Beyond Meat, Heura, HappyVore, Impossible Foods, Oatly ; grandes enseignes développant des linéaires entiers de produits végétaux.
Médias et documentaires
Relais d’images, de récits et de données scientifiques qui changent la perception publique.
Exemples : « Cowspiracy », « Seaspiracy », « Dominion », « The Game Changers » ; dossiers, podcasts et séries sur l’impact climatique et sanitaire des produits animaux.
Événements catalyseurs
Crises, scandales et rapports qui déplacent brutalement la norme en révélant les coûts cachés.
Exemples : scandales sanitaires (viande de cheval, abattoirs), zoonoses (grippe aviaire, Covid-19), rapports du GIEC, campagnes « Lundi sans viande », alertes sur la déforestation.
Évolution du langage
L’adoption de termes plus neutres ou positifs élargit la fenêtre. Nommer différemment change le cadre mental.
Exemples : « Alimentation végétale » ou « plant-based » plutôt que « vegan » ; « protéines alternatives » plutôt que « substituts » ; « transition alimentaire » plutôt que « interdiction de la viande ».
Ces forces cumulent leur influence et déplacent le véganisme du statut de pratique marginale à celui de choix socialement pensable, potentiellement majoritaire à moyen terme. Elles montrent aussi que la fenêtre d’Overton ne se déplace pas seule : elle résulte d’intérêts économiques, d’innovations culturelles et de luttes idéologiques qui s’entrecroisent.
🛒 Observation terrain
Dans plusieurs grandes enseignes françaises, l’espace consacré aux produits végétaux s’étend considérablement. Même en zone rurale, le phénomène se confirme : un supermarché U situé à quelques kilomètres de chez moi envisage de passer d’une simple moitié de frigo à près de 15 mètres de linéaire réfrigéré entièrement dédiés aux alternatives végétales.
Ces micro-décisions locales, cumulées, accélèrent le basculement de la norme : l’alimentation végétale n’apparaît plus comme un marché de niche, mais comme une option courante et moderne.
Réversibilité et allers-retours : l’autre face d’Overton
Comme je le disais plus haut, la fenêtre d’Overton est un mécanisme descriptif, nullement une promesse de progrès moral. Des idées jugées inacceptables peuvent redevenir populaires et des pratiques considérées comme normales peuvent devenir taboues. Autrement dit, la fenêtre ne trace pas une ligne droite : elle oscille au gré des époques, des cultures et des rapports de force. Certains exemples que j’ai présentés plus haut comme des glissements “à sens unique” méritent d’être revisités à plus grande échelle : ils ne suivent pas un progrès linéaire mais des allers-retours spectaculaires. C’est cette dimension réversible qui montre le mieux que ce que nous appelons “extrême” n’est qu’un état provisoire dans un cycle plus large.
Décalages géographiques et culturels
Entre chaque étape de la fenêtre d’Overton, il n’y a pas de frontières nettes mais des zones de chevauchement. Le déplacement d’une idée est rarement simultané : selon le pays, la culture ou l’époque, la même pratique peut se situer à deux stades différents à la fois. La peine de mort en est l’exemple parfait : impensable en France mais encore populaire, voire institutionnalisée, dans d’autres régions du monde. On retrouve ce décalage pour l’homosexualité, l’usage des psychédéliques, le travail des enfants ou la protection animale : certaines sociétés les voient comme des évidences morales, d’autres comme des aberrations ou des menaces. Ces zones grises rappellent que la fenêtre d’Overton n’est pas un escalier uniforme mais un paysage mouvant, où des étapes coexistent et se chevauchent.
🌍⏳ Focus : Décalages géographiques et temporels
La fenêtre d’Overton n’est ni universelle ni synchronisée. Selon les lieux et les époques, la même idée peut se situer à des stades très différents : taboue ici, tolérée là, interdite hier, légale aujourd’hui. Ces contrastes révèlent à quel point l’acceptabilité sociale est fluide et contextuelle.
Exemples géographiques
– Peine de mort : abolie et impensable en Europe de l’Ouest, encore institutionnalisée aux États-Unis, en Chine ou en Iran.
– Homosexualité : mariage pour tous en Espagne ou au Canada, criminalisation sévère dans certains pays d’Afrique ou du Moyen-Orient.
– Psychédéliques : microdoses légales et recherche médicale aux Pays-Bas ou dans certains États américains, interdiction totale ailleurs.
– Protection animale : interdiction progressive de la corrida en Catalogne, corrida et chasses traditionnelles encore célébrées en France ou au Mexique.
Exemples temporels
– Droit de vote des femmes : longtemps impensable, devenu évidence en quelques décennies.
– Chasse à la baleine : norme économique hier, tabou moral aujourd’hui.
– Cannabis : perçu comme drogue dure dans les années 1980, partiellement légalisé aujourd’hui dans plusieurs pays.
– Réseaux sociaux : fascination initiale, puis critiques massives sur la santé mentale et la vie privée.
Ce que cela montre
La fenêtre d’Overton n’est pas un escalier linéaire mais un paysage mouvant où se superposent des zones et des temporalités. Observer ces décalages aide à comprendre pourquoi certaines causes avancent très vite, d’autres lentement, et pourquoi ce qui est « normal » ici et maintenant peut être considéré comme « extrême » ailleurs ou demain.
Points de référence personnels, fenêtre d’Overton collective
Là où le point de référence est individuel ou culturel, la fenêtre d’Overton est collective et historique. Elle permet de voir comment, à l’échelle d’une société entière, ce que nous considérons comme « extrême » ou « normal » se déplace au fil du temps. La fenêtre d’Overton est en quelque sorte la version collective et historique de nos points de référence personnels : ce qui nous semble “extrême” aujourd’hui n’est qu’une mesure relative à un cadre social et temporel.
V. Subjectivité et imbrications
Tout ce que j’ai proposé ici n’est finalement qu’un éventail de biais qui s’imbriquent et dessinent un cadre de référence : nous évaluons en permanence les idées et les comportements sur une graduation allant de l’acceptable à l’impensable. Cette dynamique se joue d’abord sur un plan cognitif : nos jugements sont filtrés par des schémas mentaux et des points de référence qui amortissent la nouveauté et renforcent la dissonance cognitive. Nous qualifions volontiers d’« extrême » ce qui bouscule nos certitudes, et nos émotions personnelles amplifient ce filtre. Elle se joue aussi sur un plan socioculturel : ce qui est « extrême » ici ne l’est pas ailleurs. La construction sociale de la déviance décrite par Howard Becker et les cadres d’analyse d’Erving Goffman rappellent que la normalité est produite par des conventions collectives, des stigmates et des étiquettes qui traduisent toujours un rapport de pouvoir. Enfin, elle se joue sur un plan politique et historique : la fenêtre d’Overton illustre bien comment, dans le temps, les frontières du pensable se déplacent.
C’est précisément sur ce terrain que la pensée du philosophe Michel Foucault devient éclairante. Tout au long de son œuvre — de Histoire de la folie à Surveiller et punir — il montre que le pouvoir et les institutions ne se contentent pas d’interdire : ils produisent des catégories, des discours et des dispositifs qui fixent ce qui est normal, acceptable, tolérable. Ces « régimes de vérité » fabriquent la frontière entre le normal et l’anormal, entre l’acceptable et l’intolérable, et cette frontière se redessine sans cesse sous l’effet des luttes, des savoirs et des événements. Comprendre ce processus, c’est prendre conscience que nos jugements d’extrémisme sont toujours situés, provisoires et traversés par des rapports de force — et c’est se donner la possibilité de les interroger lucidement plutôt que de les subir.
VI. Ouverture : peut-on dépasser la subjectivité de l’extrême ?
L’objectif de ce texte n’est pas de dire si certains extrêmes sont “bons” ou “mauvais”, “justes” ou “dangereux”. Bien sûr, il existe des positions qui, par nature, menacent la pensée critique ou la vie humaine ; je ne fais pas ici leur apologie. Mon propos est ailleurs : montrer avant tout que nos jugements d’extrémisme sont toujours situés dans un cadre culturel, historique et affectif. Prendre conscience de cette relativité, c’est déjà desserrer l’étau. Sans mon engagement, qui a, vous vous en doutez, changé ma vie et ma vision du monde, je n’aurais sans doute jamais exploré cette question. Je me dis que ça va peut-être me permettre de voir aussi d’autres visions du monde très éloignés de mes propres paradigmes ce qui, en un sens, me permettra d’élargir ce qu’on appelle l’ouverture d’esprit. Naturellement, réfléchir à la subjectivité de l’extrémisme n’abolit pas nos convictions ni nos critères éthiques, mais nous invite assurément à les interroger : pourquoi voyons-nous tel comportement comme extrême et tel autre comme normal ? Qu’est-ce que cela dit de nous, de notre époque, de notre société ?
Ce déplacement du regard ouvre à de nouvelles perspectives : pluralité des centres, vigilance face aux étiquettes, humilité dans le jugement. Reconnaître le caractère provisoire et construit de la notion d’extrême ne revient pas à renoncer à nos principes, mais à mieux comprendre comment ils se fabriquent — et donc à choisir plus lucidement où nous plaçons nos propres limites. Quand j’ai reparlé de ce sujet à mon père, je lui ai dit : « tu me vois à une certaine extrémité du spectre, tout comme moi, je te vois à l’autre bout de ma propre tour de guet« . Ma tour de guet où j’estime aujourd’hui qu’il s’agit de la prochaine étape que devrait suivre l’humanité pour s’élever sur le plan de la justice morale. Pour moi, ce n’est pas tant une radicalité qu’une direction – un horizon moral encore perçu comme extrême par la majorité. Peut-être que dans quelques décennies, ce qui nous semble aujourd’hui radical sera regardé comme une évidence éthique, de la même manière que l’abolition de l’esclavage ou des châtiments corporels. Penser ainsi, c’est aussi accepter que mes propres “extrêmes” ne sont que des points dans le temps, appelés à se déplacer.
VII. Sources et ressources pour aller plus loin
🖼️ Image à la une
- L’image à la une pour exprimer l’idée d’extrémisme vient du site « al Día en América«
📚 Lectures et références clés
- Michel Foucault – « Surveiller et punir » (1975)
- Michel Foucault – « Les Anormaux » (Cours au Collège de France, 1974–1975)
- Erving Goffman – « Stigmate » (1963/1975)
- Erving Goffman – « Les cadres de l’expérience » (1974/1991)
- Howard S. Becker – « Outsiders : Études de sociologie de la déviance » (1963/1985)
- Joseph P. Overton – « The Overton Window of Political Possibilities » (1999)
- John G. Lehman – « The Overton Window: A Model for Understanding How Ideas Become Policy » (2010)
- Leon Festinger – « La Dissonance cognitive« (1957/1962)
📢 Déclarations / Figures médiatiques
- Greta Thunberg – Discours sur l’alimentation végétale et le climat (2019–2023)
- Angela Davis – Interventions sur l’abolition des prisons (années 2000)
- Malala Yousafzai – Plaidoyer pour l’éducation des filles (2014)
- Campagne #MeToo – Transformation de la perception du harcèlement sexuel (2017–2020)
- Rapports du GIEC – Alarme sur l’urgence climatique et alimentaire (depuis 1990)

Charte de transparence IA
🧠 Idée : 100 % humaine. J’avais déjà envie d’explorer la notion d’« extrême », me sentant pleinement concerné. Et, par sérendipité, un ami m’a parlé de la « fenêtre d’Overton » quelques jours avant que je me plonge dans ce texte. Le concept s’est naturellement greffé à mon sujet.
📁 Structure : Le plan général a été proposé par l’IA à partir de mes notes. Cela m’a aidé à organiser mes idées, à trouver un fil conducteur et à visualiser les différentes étapes du texte.
✍️ Rédaction : Le texte repose sur mes ressentis et ma perception personnelle. J’ai cependant beaucoup sollicité l’IA pour clarifier mes formulations, éviter les répétitions et trouver une progression plus nette. C’était un dilemme : accepter d’être accompagné par l’IA sur l’un de mes sujets les plus intimes ou m’en passer et risquer un texte décousu. Le résultat me semble suffisamment enrichi pour nourrir la réflexion sans trahir mon intention.
🎨 Illustrations :
Intervention globale de l’IA estimée : 70 %







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