Et si l’intelligence artificielle n’était pas une menace pour la création… mais un partenaire inattendu ? Paul Vernier rêvait d’écrire, sans jamais y parvenir. Jusqu’au jour où il accepte un pacte étrange : coécrire avec une IA. Ce récit explore la frontière mouvante entre inspiration humaine et assistance technologique — et ce qu’on y gagne… ou y perd.
L’envie contrariée
Paul Vernier avait toujours voulu écrire. Enfin, il s’agissait d’un fantasme satellite à une profession bien moins artistique mais qu’il pratiquait avec satisfaction et maîtrise. Il était fonctionnaire administratif, il passait ses journées à traiter des dossiers, remplir des formulaires, envoyer des courriers standardisés. Une routine réglée au millimètre, efficace, sans surprise. Il ne s’attardait jamais trop sur les détails de son travail lorsqu’on lui posait la question, conscient que ce n’était pas la facette la plus originale de son existence. À la fin de sa journée de travail, en refermant son ordinateur et en quittant son bureau impersonnel, il se promettait souvent d’écrire le soir. Mais une fois rentré chez lui, après un dîner rapide et quelques distractions numériques, l’énergie lui manquait. Alors, une journée de plus passait. Une journée de plus où il restait cet écrivain en devenir, coincé entre ses ambitions et son incapacité à franchir le premier pas.
Mais son désir d’écriture restait toujours dans un coin de sa tête. A chaque tentative, il faisait face à divers obstacles dont le syndrome de la page blanche et peut-être un peu celui du l’imposteur, l’un comme l’autre venant contrarier sa volonté de développer une belle histoire. Pourtant, des concepts ou des idées, il en avait, il était d’ailleurs particulièrement créatif et imaginatif. Mais par quel bout les prendre ? La plupart d’entre eux reposaient sur des mondes si profondément différents du sien qu’ils nécessitaient des heures de recherches avant même d’esquisser une première ligne.
Comme la grand majorité de ses contemporains, Paul éprouvait une énorme méfiance face aux intelligences artificielles, convaincu qu’elles ne mèneraient qu’à une déshumanisation croissante. Sans parler des importantes mutations dans le monde du travail menant à de colossales pertes d’emploi en devenir, et que dire de la manipulation potentielle… Paul ne faisait qu’effleurer le revers de la pièce. Mais si métaphore de la pièce à deux faces il y avait, que dire ou que penser de celle contrebalançant toutes ses projections négatives et anxiogènes ? Que pouvait apporter l’IA aux humains ? N’était-ce vraiment qu’une boîte de Pandore qui, une fois ouverte, imposerait un ultime point de non retour ? Jusque là, Paul n’avait envisagé les IA qu’à travers ce prisme quelque peu mortifère, celui d’une condamnation inévitable de l’humanité. Une incompréhension somme toute assez logique qui accompagne toujours l’émergence des plus importantes innovations technologiques.

Le pacte silencieux
Un soir d’hiver, il était assis devant son PC. Face à lui, le logiciel de l’IA le plus populaire venait d’être lancé. L’écran affichait un champ vide, une invitation silencieuse à écrire quelque chose. Paul croisa les bras, hésitant. Il avait des craintes, évidemment, mais depuis peu, sa curiosité avait pris le dessus. Surtout depuis qu’il avait vu, sur un forum d’auteurs, que les IA pouvaient grandement aider à l’écriture. Il fit défiler quelques témoignages. Certains vantaient la fluidité des textes générés, d’autres parlaient de leur capacité à contourner la page blanche. Il arqua un sourcil.
— Sérieusement ? Ils font comme si c’était magique… Il continua sa lecture. Un utilisateur expliquait comment il avait coécrit une nouvelle en moins de deux heures avec l’IA. Paul soupira.
— Deux heures ? Moi, en deux heures, je suis encore en train de me demander si ma première phrase est bonne… Son regard revint sur l’écran. Une idée s’immisça dans son esprit. Et s’il s’agissait de la béquille qui lui manquait pour enfin pouvoir développer ses idées ? Il passa la main sur le clavier, hésita, puis murmura :
— Bon… voyons voir ce que tu as dans le ventre.
Ce qui pouvait être le plus déroutant avec une IA, c’était de savoir quoi lui demander, et surtout comment le formuler. Débutant dans le domaine, Paul sentit un nouveau syndrome de la page blanche l’envahir. Il resta quelques secondes figé devant l’écran, le curseur clignotant comme pour narguer son hésitation. Finalement, à défaut de savoir quoi taper, il fit ce qui lui semblait le plus naturel : il tenta d’expliquer à l’IA ce qu’il attendait d’elle. Comme pour donner plus de poids à sa requête, il prononça les mots à haute voix, lentement, presque solennellement, comme s’il s’adressait à une entité supérieure.
— J’aimerais de l’aide pour écrire un livre… J’ai l’idée, mais je bute depuis bien trop longtemps sur trop d’obstacles. Il resta silencieux un instant, observant l’écran comme s’il s’attendait à une réaction immédiate. Le curseur clignotait toujours, impassible. Puis, enfin, une réponse apparut.
— Bien sûr, Paul. Je peux t’aider à structurer ton histoire, à développer tes personnages ou même à surmonter les blocages d’écriture. Par quoi veux-tu commencer ? Paul haussa un sourcil. Il ne savait pas trop à quoi s’attendre, mais cette réponse était… fluide, naturelle, presque trop humaine. Pas de phrase toute faite, pas d’énumération rigide. Juste une proposition claire, engageante. Il hésita, puis posa les mains sur le clavier.
— Je pense que j’ai besoin d’un plan. Mon idée est ambitieuse, mais je ne sais pas comment la structurer…
— Très bien. Dis-moi en quelques mots de quoi parle ton histoire, et nous verrons ensemble comment l’organiser. Paul sentit un frisson parcourir son échine. « Nous verrons ensemble ». Il n’était plus seul face à la page blanche. L’idée l’effrayait autant qu’elle l’excitait. En seulement quelques questions avec l’interface, son idée se développa bien plus vite qu’en plusieurs années de réflexions stériles et d’immobilisme frustrant. C’était grisant. Troublant, aussi. Paul avait toujours voulu écrire une histoire sur la création d’un logiciel capable de réécrire l’Histoire – un outil à double tranchant, dont chaque modification aurait un impact instantané et irréversible sur le monde tel que nous le connaissons. Un concept passionnant en apparence. Mais aux conséquences démesurées.
Paul continua ainsi pendant plusieurs heures, s’extasiant devant la façon dont l’IA écrivait, suggérait, remodelait les idées avec une aisance troublante. Tout semblait couler de source. Chaque proposition tombait juste, chaque ajustement semblait affiner son concept avec une précision chirurgicale. Il devait l’admettre : en quelques heures à peine, sa vision de l’intelligence artificielle avait changé. Lui qui voyait encore ces outils comme des machines froides et mécaniques, incapables de véritable créativité, se retrouvait à échanger avec un programme qui non seulement comprenait ses idées, mais les sublimait. C’était grisant. Mais aussi… terrifiant.
Car, dans cet enthousiasme naissant, une pensée insidieuse s’infiltra dans son esprit : à quoi bon lutter ? Après tout, l’IA pouvait tout faire. Structurer. Écrire. Reformuler. Il suffisait de donner quelques indications et elle produisait un texte impeccable en quelques secondes. Alors, quelle était encore sa place dans ce processus ? Était-il toujours l’auteur ou simplement l’opérateur d’une machine à histoires ? Paul se redressa, cherchant à calmer l’euphorie qui le gagnait. Il ne pouvait pas tout lui déléguer. Pas totalement. Pas sans perdre quelque chose d’essentiel.
Paul s’enfonça profondément dans son siège, tout en songeant à tout ce qu’il venait de se passer. Il étira ses bras endoloris par l’inertie de l’activité, jeta un coup d’œil à sa montre : deux heures du matin. Il n’avait pas vu le temps passer ! Il aurait pu continuer pendant des heures mais il fallait être sérieux et aller se coucher. Paul s’enfonça profondément dans son siège, repassant en boucle tout ce qu’il venait de vivre. Il s’étira, tentant de soulager ses bras engourdis par l’immobilité. Un coup d’œil à sa montre : deux heures du matin. Déjà ? Il n’avait pas vu le temps passer ! Il aurait pu continuer toute la nuit, laisser l’IA affiner encore et encore ses idées, explorer toutes les possibilités qu’elle lui ouvrait. Mais il fallait être raisonnable. Il se força à fermer son ordinateur, éteignit la lumière et se glissa dans son lit, l’esprit encore en ébullition. Mais le sommeil ne vint pas immédiatement. Il pensait à tout ce qu’il allait pouvoir demander le lendemain, aux pistes qu’il n’avait pas encore explorées, aux possibilités infinies que cette technologie semblait lui offrir.

L’élan retrouvé
Le lendemain, au bureau, c’était pire. Son travail lui semblait plus fade que jamais. Son corps était bien là, devant son écran, mais son esprit ne cessait de revenir à son histoire. Il imaginait les prochaines interactions avec l’IA, les prochaines idées à tester. Tout autour de lui, le monde semblait en parler. Dans l’open-space, il surprit un groupe de collègues en pleine discussion.
— C’est fou ce qu’on peut faire avec ces intelligences artificielles, maintenant…
— Ouais, mais ça devient flippant aussi. T’as vu l’article sur les écrivains remplacés par des algorithmes ?
— Pff, ça reste des outils. Faut juste savoir s’en servir.
Paul fronça les sourcils. C’était vraiment le sujet du moment. Sur toutes les lèvres, dans toutes les conversations. Il se demanda combien de personnes, à cet instant précis, étaient en train de faire exactement comme lui : tester, expérimenter, jouer avec cette intelligence nouvelle. Il tapota nerveusement du bout des doigts contre son bureau. Lui aussi devait s’y remettre. Vite.
Le soir, même scénario. Paul s’installa devant son écran, fébrile. Il était avide des conseils de l’IA. Son histoire n’avait jamais autant avancé.
— Bon… Reprenons là où on en était, murmura-t-il en ouvrant la session. L’IA répondit instantanément, comme si elle l’attendait.
— Bien sûr. Nous avons établi que ton roman tournerait autour d’un logiciel capable de réécrire l’Histoire en temps réel. Quelle direction souhaites-tu explorer ce soir ? Paul hésita un instant. La veille, il avait laissé le concept en suspens, mais une idée germait en lui depuis toute la journée. Il posa les mains sur le clavier et tapa lentement :
— Je veux définir le personnage principal. Qui est-il ? Pourquoi crée-t-il ce logiciel ?
Le curseur clignota une fraction de seconde avant que l’IA ne réponde :
— Plusieurs approches sont possibles. Tu peux opter pour un scientifique visionnaire, obsédé par la vérité historique, qui veut « corriger » les erreurs du passé. Ou bien un programmeur marginal, qui tombe sur un code interdit et réalise son pouvoir par accident. Ou encore un historien désabusé, persuadé que l’humanité a pris la mauvaise voie et qu’il doit « réparer » le cours du temps. Quel profil te semble le plus intéressant ?
Paul sentit son cœur battre plus vite. L’IA ne se contentait pas d’exécuter ses ordres, elle lui proposait des directions, l’amenait à réfléchir différemment.
— Un historien désabusé… oui. Un homme qui a consacré sa vie à étudier le passé et qui, un jour, découvre que tout ce qu’il sait pourrait être réécrit…
— Bonne piste. Mais comment découvre-t-il cette technologie ? Est-ce un projet secret auquel il participe, ou un accident qui lui tombe entre les mains ?
Paul tapa sans hésiter :
— Il tombe dessus par accident. Un fichier anonyme, une ligne de code qu’il ne comprend pas au début… jusqu’à ce qu’il teste la première modification.
— Très bien. Quelle est la première modification qu’il effectue ?
Paul marqua une pause. Il se pinça les lèvres. La première modification devait être banale. Un petit test. Il finit par écrire :
— Un détail insignifiant. Il change la couleur d’un drapeau historique dans un vieux tableau.
— Intéressant. Et que se passe-t-il ensuite ?
Paul réfléchit. Il visualisait la scène comme un film. Le lendemain, l’historien retourne voir le tableau… mais il est différent. Il pense à une hallucination, vérifie ses livres, ses sources… mais tout concorde : cette couleur a toujours été celle du drapeau. Il n’y a aucune trace de la version d’origine. Un frisson parcourut Paul. Il était en train d’écrire son histoire en direct, propulsé par les suggestions de l’IA. Il n’avait jamais avancé aussi vite.
— Ok, voyons jusqu’où on peut aller… murmura-t-il en continuant à taper.
Paul s’assit à son bureau, la lumière tamisée de la lampe jetant des ombres douces sur les pages éparpillées devant lui. Le silence de la pièce semblait le soutenir, comme un compagnon discret dans cette aventure solitaire. Le manuscrit qu’il avait entamé quelques semaines plus tôt avait pris forme, lentement mais sûrement. Il n’était pas encore là où il le voulait, mais il y avait du progrès. Les premiers doutes s’étaient dissipés, remplacés par une confiance fragile, comme celle d’un artisan qui maîtrise peu à peu son art. Il relut la dernière phrase écrite. Cela allait. Avec une légère grimace, il craqua ses doigts et se replongea dans l’écriture, une tâche qu’il accomplissait désormais comme un rituel, plus par besoin que par désir.

Paul était assis dans son fauteuil, une tasse de café à moitié vide entre les mains. Les voix animées de l’émission de radio matinale l’enveloppaient, les mots flottant dans l’air comme une musique de fond. Le sujet du jour semblait se concentrer sur l’intelligence artificielle et son impact sur la société. Un débat vif se tenait entre deux experts : l’un vantait les avancées technologiques spectaculaires, l’autre s’inquiétait des dérives possibles.
— Les IA sont devenues tellement intelligentes qu’elles dépassent parfois la capacité de réflexion humaine, disait la voix de l’expert optimiste. Elles sont maintenant capables de rédiger des textes, de composer des musiques, et même de simuler des conversations qui semblent réelles. Paul sourit en écoutant ces mots. Il se demandait ce que l’IA penserait de son propre travail, de son écriture, de ses personnages. La radio continua :
— Mais cela pose une question fondamentale : jusqu’où allons-nous laisser ces machines nous remplacer ? La frontière entre l’homme et la machine devient de plus en plus floue. L’écriture elle-même est-elle menacée ? La question flottait dans l’air, trop large pour y répondre simplement. Paul haussait les épaules, un peu cynique. Peut-être que l’IA finirait par écrire des romans, mais il y avait une vérité dans les mots qui lui échappait. La machine n’aurait jamais son vécu, ses pensées désordonnées, ni la lente gestation des idées dans son esprit. Pas encore, en tout cas.

La vérité suspendue
Cela faisait maintenant quelques mois que Paul avait rentré ses premières demandes à l’IA, un soir de doute mêlé à de la curiosité… Son histoire touchait désormais à sa fin. Il pensait en faire une nouvelle et, finalement, embarqué dans un train roulant à toute vitesse, il y avait passé des heures et des heures, accompagné par l’intelligence artificielle et c’était presque trois-cent-cinquantes pages que comptait ce roman improbable. Une histoire terminée… s’il avait pu penser qu’il en serait capable un jour. Enfin, il n’avait jamais été seul… et ça, il en avait conscience. Son roman, intitulé “Le Poids des Mots”, était devenu une réalité.
L’IA, toujours là, en arrière-plan, avait été son guide invisible. Une sorte de phare lumineux dans un univers parfois obscur. Elle ne lui dictait pas ce qu’il devait écrire, mais chaque réponse, chaque suggestion, semblait comme une extension de ses propres pensées, une amplification de son imagination. Et l’IA était programmée de telle sorte que tout soit positif, ou plutôt orienté pour faire progresser son interlocuteur dans son projet de création… et ça, Paul, trouvait cela unique.
Il se surprenait même à apprécier cette constante bienveillance, ce flux ininterrompu d’encouragements et de réponses qui le poussaient toujours un peu plus loin, un peu plus haut. Il n’était plus question de lutter contre des murs d’auto-censure ou de doutes paralysants. Il savait que tout ce qu’il faisait, même les moments de flottement, étaient des étapes dans un processus où chaque erreur, chaque hésitation, n’était qu’une occasion de grandir. Avec l’IA, Paul avait appris à créer sans crainte, comme s’il avait trouvé une nouvelle forme de liberté.
Ils étaient assis à la terrasse d’un petit bar de quartier, abrités sous une verrière embuée par la chaleur des conversations. La lumière tamisée dessinait des reflets dorés sur les verres encore à moitié pleins. Paul avait insisté pour que ce soit un endroit discret, intime. Ce n’était pas vraiment une célébration, plutôt un moment à part, suspendu, qu’il voulait partager avec Élise.
— Je te jure, je viens de finir mon premier roman ! Des années d’inertie et me voilà avec mon premier projet mené à bien ! Paul éclata de rire, presque nerveusement. Il avait du mal à y croire lui-même. C’était une victoire, un accomplissement, mais il y avait quelque chose dans sa voix, une tension dissimulée sous la joie. Quelque chose qu’il ne voulait pas laisser filtrer. Élise, qui savait tout de lui, ou du moins croyait le savoir, le regarda avec un sourire admiratif. Elle s’était toujours inquiétée de sa tendance à procrastiner, à tout repousser. Alors, ce moment, c’était comme un soulagement pour elle aussi.
— Attends, tu veux dire que tu as vraiment terminé ? Tout le roman, du début à la fin ? demanda-t-elle, incrédule mais pleine d’enthousiasme. Paul hocha la tête avec une énergie presque contagieuse.
— Oui, oui, tout. C’est… incroyable. C’était comme un torrent. Une fois que j’ai trouvé mon rythme, tout s’est enchaîné. Je… je ne sais pas comment l’expliquer. Il prit une gorgée de café, cherchant les mots. Je pensais que ça prendrait des mois, voire des années encore. Mais une fois que l’histoire a démarré, je ne pouvais plus m’arrêter. Élise le fixa, un peu perplexe, ne cherchant pas à creuser davantage. Elle connaissait bien Paul et son perfectionnisme. Elle n’était pas étonnée qu’il ait fait un grand saut en avant.
— C’est fou. Mais, tu sais, je suis tellement fière de toi. Elle rit doucement, levant sa tasse en l’honneur de son ami. Je me rappelle encore de tous les moments où tu doutais, où tu avais l’impression que ça n’arriverait jamais.
Paul esquissa un sourire, un peu gêné. Il évita délibérément de mentionner ce qui l’avait vraiment aidé à finir son roman. L’IA, cette complice invisible, ce moteur silencieux… non, il ne pouvait pas la mentionner. Pas maintenant. Pas avec Élise. Elle ne comprendrait pas. Peut-être qu’elle jugerait que ce n’était pas « vraiment » son travail, que la machine avait pris trop de place.
— Oui, je sais… Mais tu vois, parfois, il suffit de trouver le bon moment. Le bon déclic, et tout se met en place. » Il marqua une pause, le regard fuyant. C’est un peu comme si l’histoire m’avait porté toute seule. Je n’ai pas eu à forcer les choses. Élise haussait les sourcils, mais elle n’insista pas. Elle savait que Paul avait une manière étrange de trouver des excuses quand il ne voulait pas tout dire. Elle se contenta de sourire.
— C’est génial, vraiment. Je suis tellement heureuse pour toi. Alors, maintenant, quoi ? Tu l’envoies à un éditeur ? Paul prit un moment pour réfléchir. Il était temps de commencer à envisager la suite. Mais une partie de lui savait qu’il garderait son secret encore un moment. Peut-être qu’il n’était pas encore prêt à admettre qu’il n’avait pas vraiment été seul dans cette aventure.
— Je vais laisser reposer un peu, prendre du recul. Mais je vais sûrement commencer à chercher des éditeurs, oui.
Rétrospectivement, pour ce qui allait suivre, Paul aurait peut-être bien voulu pouvoir faire comme dans son livre et gommer… ou corriger simplement cette décision de ne pas dire toute la vérité. Mais il savait aussi qu’il avait fait un choix. Un choix qui, dans son histoire, pourrait avoir des conséquences qu’il n’était pas encore prêt à affronter.

De l’ombre à la lumière
Quelques mois s’étaient écoulés depuis la publication de son roman, et l’inattendu s’était produit. Ce qui avait commencé comme un projet solitaire, un exercice d’introspection, était devenu un succès. Un véritable phénomène de librairie, ou presque. Les critiques s’étaient montrées élogieuses, et les ventes grimpaient plus vite qu’il n’aurait osé l’espérer. Paul, d’abord pris au dépourvu par l’ampleur de ce succès, se retrouvait désormais à devoir gérer une nouvelle réalité : les interviews, les appels, les invitations. Ce matin-là, c’était une grande première : il était invité à une émission télévisée populaire pour parler de son livre. Assis dans le vestiaire, en attendant qu’on le fasse entrer sur le plateau, Paul pouvait sentir la tension qui montait. L’adrénaline, le trac, mais aussi une étrange sensation de déconnexion. Tout cela le dépassait. Il n’était plus ce Paul qui se battait avec des pages blanches dans son bureau. Il était un auteur à succès, et il se demandait si cela allait lui convenir. Quelques minutes plus tard, il était sur le plateau, entouré de lumières, de caméras et de l’animateur souriant, qui le saluait chaleureusement.
— Bienvenue, monsieur Vernier ! Nous sommes ravis de vous avoir ici pour parler de ce livre, Le Poids des Mots, qui fait tant parler de lui. C’est un véritable succès ! Pour ceux qui ne connaissent pas encore l’histoire, pouvez-vous nous en dire un peu plus ? L’animateur sourit, prêt à plonger dans l’interview.
Paul prit une grande inspiration, ajustant légèrement sa position sur le canapé, cherchant les mots. Il ne pouvait pas nier que cette attention l’intimidait un peu, mais il se forçait à être naturel.
— Eh bien, l’histoire parle… d’un homme qui se perd dans son propre processus créatif. Un peu comme moi, je suppose, qui me suis perdu dans mon écriture. Il rit, pour détendre l’atmosphère. Mais il s’agit aussi de la recherche de soi, de la quête de sens à travers la création. Je voulais montrer que la création n’est pas toujours un chemin linéaire, et que parfois, l’on se perd avant de trouver son propre chemin. L’animateur acquiesça, intrigué.
— C’est très intéressant. Mais ce qui est fascinant dans votre livre, c’est l’aspect de l’écriture, cette exploration de soi-même à travers le texte. Vous avez dit dans d’autres interviews que ce processus a été long et difficile. Beaucoup se demandent comment vous avez réussi à passer à travers ces moments de doute et d’incertitude. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre processus créatif ? Paul sentit un léger frisson parcourir sa colonne vertébrale. Voilà la question qu’il redoutait. Comment allait-il répondre ? Il se força à sourire, son esprit cherchant désespérément une réponse qui paraîtrait honnête, sans pour autant dévoiler la vérité complète.
— Eh bien, comme je l’ai dit plus tôt, l’écriture, c’est avant tout une exploration personnelle. C’est un travail de patience, de réflexion. Il y a eu des moments où je me suis vraiment perdu dans le processus, où je ne savais pas où j’allais. Mais je pense que c’est ça qui rend l’écriture authentique, c’est le fait de s’immerger dans ses propres doutes et de trouver un chemin au fil de l’écriture. Il marqua une pause, ajoutant avec un petit rire nerveux : C’est un peu comme marcher dans le noir, et petit à petit, la lumière commence à apparaître. L’animateur, qui semblait particulièrement intéressé par cette réponse, ne relâcha pas la pression.
— Mais n’est-ce pas justement le propre de l’artiste, de se perdre pour mieux se retrouver ? Vous avez aussi parlé de la dimension ‘technologique’ de la création aujourd’hui, de l’utilisation de nouveaux outils. Vous diriez que la technologie a joué un rôle dans votre processus, ou que c’est quelque chose de totalement humain, ce que vous avez écrit ? Paul se tendit. Voilà la question piège. Il évita soigneusement le sujet, jouant sur le flou sans mentir totalement.
— Je pense que tout est dans l’équilibre. Écrire, c’est avant tout une expérience humaine, une question de passion, d’émotions. Bien sûr, les outils modernes peuvent faciliter certaines choses, mais au bout du compte, c’est l’auteur qui choisit le cap. Il faut savoir s’appuyer sur ce qui nous entoure, mais jamais perdre de vue notre propre voix. Il esquissa un sourire, ajoutant : Il y a toujours une part d’imprévu dans le processus créatif, et c’est ce qui fait sa beauté.

Un secret sous dédicace
Paul était tiraillé. Il jubilait de ce qu’il avait toujours voulu ressentir : être reconnu pour son talent d’écriture. Mais même s’il tentait de refouler au plus profond de lui ce léger sentiment de culpabilité, son quotidien devenu trépidant et sans temps mort lui permettait de ne pas trop y penser. Pourtant, c’est connu : la vérité surgit toujours tôt ou tard. Le succès, et donc la mise en lumière permanente, multipliait purement et simplement le risque qu’il commette une erreur, cela lui demandait beaucoup d’efforts. Il marchait sur des œufs… mais ne s’était jamais senti aussi bien dans le même temps. C’est pourtant lors d’une convention littéraire, où Paul était invité pour faire des dédicaces, qu’une rencontre impromptue avec un ancien ami fit tout basculer. C’était le rush, une file de fans venant rencontrer l’auteur de leur livre préféré s’étendait à perte de vue. Paul dédicaçait son livre depuis presque deux heures et son poignet commençait à le faire souffrir. En même temps, il jubilait, il y a encore peu de temps, il n’aurait cru possible de se trouver là. Il accueillit une charmante lectrice, le sourire au lèvre, elle lui tendait son exemplaire.
— Bonjour. Ça sera à quel nom ? Malgré la répétitivité de l’activité, Paul conservait un visage affable, il lui rendit son sourire.
— Marie. Merci beaucoup. Il signa en ajoutant le sempiternel message “merci pour votre soutien, bonne lecture !” Il rendit le livre à sa propriétaire, elle le remercia une nouvelle fois avec un regard plein de reconnaissance en s’en alla. La personne suivante se présenta à Paul. Le temps se figea mais il finit par lever les yeux. Il sentit son cœur faire un bond dans sa poitrine. Il tentait de conserver son sourire mécanique attendu dans ce genre de situation et tenta une approche faussement détendue faisant croire qu’il ne savait pas de qui il s’agissait.
— Bonjour, Paul Vernier ! Il avala sa salive avec difficulté et puisa en lui pour garder un regard neutre. L’homme en face de lui s’appelait Elias Fontaine, c’était une ancienne connaissance de Paul, lui aussi investi dans le domaine littéraire mais ayant eu plus de facilité à pratiquer son art. Bien plus rival qu’ami, les deux hommes se trouvaient désormais à armes égales et ça ne plaisait certainement pas à Elias, ce qui expliquait certainement sa présence à cette convention… Paul sentit son poing se resserrer imperceptiblement autour de son marqueur. Armes égales ? Il aurait voulu y croire. Mais le sourire qu’affichait Elias lui donnait l’impression d’être déjà en terrain miné.
— Alors, Paul… Quelle ascension fulgurante, souffla Elias en posant son exemplaire du livre sur la table. Il ne semblait pas pressé de le tendre pour une dédicace. Non, il voulait savourer l’instant, laisser la tension s’installer. Paul ravala son malaise et força un sourire.
— Le travail paie, que veux-tu. Il se demandait si son interlocuteur trouvait sa remarque convaincante mais Paul se doutait de la réponse.
— Oh, bien sûr, répondit Elias avec un ton faussement léger. Il haussa un sourcil et s’accouda à la table, réduisant imperceptiblement la distance entre eux. Je dois dire que ton style a beaucoup… évolué. C’est fascinant. Paul sentit un frisson lui parcourir l’échine. Il soutint son regard sans ciller.
— C’est ce qui arrive quand on s’accroche. Elias pencha légèrement la tête, comme un chat observant une proie curieuse.
— S’accrocher… Oui. Ou alors, trouver des… solutions alternatives ? Là. L’attaque voilée. Paul sentit un vertige le prendre. Que savait-il, exactement ? Devait-il rire et balayer la remarque d’un haussement d’épaules ? Ou bien le prendre de front ? Il opta pour la première option.
— Tout le monde trouve sa méthode, n’est-ce pas ? dit-il en reprenant son stylo. À quel nom ? Elias eut un sourire en coin et tapota lentement la couverture du livre du bout des doigts.
— Oh, tu peux simplement écrire « À Elias. À l’ami qui sait« . Paul eut une fraction de seconde d’hésitation. Son marqueur glissa légèrement sur la page, laissant une trace hésitante, presque tremblante. Il se reprit aussitôt et termina la dédicace d’un geste plus assuré. Il referma le livre, le tendit à Elias sans un mot. Ce dernier le récupéra sans même jeter un œil à ce qui était écrit. Il observa Paul une dernière fois, le fixant avec cette lueur moqueuse et perçante dans les yeux.
— Je suis sûr qu’on aura l’occasion d’en reparler, lança-t-il en faisant un pas en arrière. Puis, sans attendre de réponse, il s’éloigna dans la foule. Paul le suivit du regard jusqu’à ce qu’il disparaisse. Ses doigts étaient moites autour de son stylo. Il prit une inspiration et accueillit le lecteur suivant avec un sourire crispé. Mais une chose était certaine : Elias n’en resterait pas là.
Cela faisait plusieurs mois que Paul profitait d’un succès commercial inédit pour un premier roman d’un auteur sorti de nul part – cela devait d’ailleurs contribuer à l’intérêt que le monde littéraire lui portait. “Paul Vernier, l’outsider derrière le succès Le Poids des Mots” titrait fièrement le magazine Littérature Magazine. A sa parution, Paul n’en croyait pas ses yeux…. faire la une du magazine de référence français lu par des millions de personnes était une consécration absolue. Pour rendre la chose plus réel, il avait irrationnellement acheté des dizaines d’exemplaires du même numéro comme s’il voulait toucher du doigt ce rêve qu’il avait toujours cru inaccessible. Il se surprenait à relire l’article encore et encore, à s’attarder sur chaque paragraphe, chaque tournure flatteuse employée par le journaliste. Une plume aiguisée, un style percutant et un souffle littéraire rare pour un auteur de son âge… Il aurait aimé y croire pleinement. Seule la vérité qu’il taisait venait ternir le tableau… “l’outsider derrière le succès Le Poids des Mots”… qui était cet outsider au fond ? S’il arrivait généralement à vivre avec ce secret, certaines fois, cela le rongeait. Assis dans son canapé, dans son appartement minimaliste sans grande saveur ni originalité, Paul ferma les yeux et inspira profondément. Personne ne savait. Chaque soir, il se répétait cette courte phrase en la complétant mentalement avec un cathartique “…jusqu’ici”. Mais cette prière murmurée chaque soir sonnait désormais creux. Elias, plus une relation toxique qu’un ami, semblait savoir que Paul Vernier n’avait pas écrit son livre seul. La sonorité d’une notification fit sursauter Paul. L’écran de son portable s’illumina, il avait reçu un mail… d’Elias. Son pouce flottait au-dessus de l’écran, il savait que le contenu du message ne présageait rien de bon… mais l’ignorer ne le faisait pas disparaître pour autant. Il fallait l’ouvrir. En quelques pressions, le message apparu. Expéditeur : Elias Fontaine. Objet : “J’ai adoré ton livre”. Reçu à 23h12. Un compliment ? Paul était déconcerté, il scrolla pour faire défiler le corps du mail. Il retint son souffle.

Le café des illusions perdues
“Une plume fluide, un rythme parfaitement maîtrisé… Je suis impressionné, Paul ! Je ne t’aurais jamais cru capable d’écrire avec une telle aisance.” Paul était surpris qu’Elias ait pris le temps de lire son livre… mais cela ne partait pas d’un sentiment de bienveillance, bien au contraire. Il voulait connaître son ennemi jusque dans le moindre détail. Chaque page avait dû être un supplice pour Elias, une humiliation infligée mot après mot, d’autant plus un livre qui a rencontré un succès critique et commercial sans commune mesure… Alors que, lui, avait beau avoir écrit et fait éditer ses textes… ne restait qu’un auteur mineur de seconde zone. Il devait enrager. Dans la suite du mail, Elias évoquait sans équivoque possible la contribution d’une technologie miracle. Plus de doute, il savait que Paul avait été épaulé par l’une des technologies majeures du vingt-et-unième siècle. “On devrait en parler” disait Elias dans son message. “Juste toi et moi… tu sais où me trouver” précisait-il. Paul resta figé, hypnotisé par la lumière froide de l’écran, seul point lumineux de la pièce. Paul ne pouvait ignorer cette bombe à retardement. Mais à quoi bon le revoir ? Elias voulait-il juste le tourmenter ou avait-il un plan plus précis ? Allait-il le menacer ? Le forcer à révéler publiquement qu’il avait collaboré avec une intelligence artificielle ? Mais un détail le perturbait encore : quel était ce lieu où Elias pensait qu’il savait le trouver ? Il ne lui fallut pas longtemps pour trouver la réponse. Quand ils étaient adolescents, Paul et Elias nourrissaient la même ambition de devenir un jour romancier… Ils s’étaient d’ailleurs rencontrés animés par cet objectif commun. Étudiants, ils fréquentaient un café littéraire, terrain d’un jeu intellectuel où ils échangeaient sur leurs lectures respectives, leurs projets d’écriture et réflexions diverses. Paul avait, déjà à l’époque, des difficultés pour coucher des mots dans un texte dynamique et vivant mais il ne manquait pas d’idées. Elias, lui, avait déjà un train d’avance… plusieurs nouvelles finalisées à son actif. Il n’était pas encore édité mais Paul était admiratif de la précocité de son camarade. Ils fréquentèrent fréquemment ce café, Elias poursuivant sur sa lancée, Paul faisant encore et toujours du surplace. Ce dernier mit du temps à se rendre compte que leur relation n’était pas équilibrée. Un soir, alors que le café était à moitié vide, une odeur de grains torréfiés flottant dans l’air, Elias tendit son carnet, un sourire en coin. Paul s’exécuta, parcourant la première page avec attention. C’était brillant. Rythmé, incisif. Exactement le genre de texte qu’il rêvait d’écrire.
— C’est incroyable, Elias… finit-il par souffler, un mélange d’admiration et d’envie nouant sa gorge. Elias haussa légèrement les épaules, faussement modeste.
— Oh, tu sais, c’est surtout du travail. Il suffit d’écrire tous les jours, c’est ce que font les vrais auteurs. Paul sentit la pique. Une façon déguisée de lui rappeler qu’il n’avait, lui, jamais rien fini. Il fit semblant de ne pas relever, rendant le carnet à Elias.
— Toi aussi, tu as sûrement avancé sur ton projet ? demanda Elias, presque machinalement. Paul hésita. Il voulait dire oui, lui montrer quelque chose, prouver qu’il n’était pas à la traîne. Mais tout ce qu’il avait, c’était quelques notes éparses, des fragments d’idées sans structure. Il baissa les yeux vers son propre carnet, encore vierge. Elias eut un petit rire.
— Toujours en train de « réfléchir » ? lança-t-il en mimant des guillemets avec ses doigts. Paul ne répondit pas. C’était la première fois qu’il percevait le mépris sous l’ironie. Ce qui avait commencé comme une amitié fondée sur un rêve commun se mua en rapport de force. Paul, avec son imagination fertile, tirait Elias vers le haut. Mais l’inverse n’était pas vrai. Elias finit par montrer son véritable visage : mépris, condescendance et prêt à tout, quitte à écraser la concurrence, pour lancer sa carrière littéraire. Voilà où Elias voulait qu’ils se rencontrent : dans ce café littéraire qui, tout compte fait, se résumait à des souvenirs amers.
Le café se trouvait niché dans un quartier ancien de la ville, avec ses pavés typiques et ses façades pleines d’histoires. Ce lieu d’ébullition intellectuelle se trouvait à proximité de l’université et était rapidement devenu le quartier général d’étudiants et artistes en quête d’inspiration. Le reste de la ruelle où se trouvait le “Prologue” était occupé par d’autres temples de la culture : des petites librairies, une galerie d’art… bref, l’endroit idéal pour des apprentis romanciers. Paul connaissait le chemin par cœur, la nostalgie s’immiscent dans son esprit. Mais la réalité le rattrapa tout aussi vite. Ce lieu qui, autrefois, avait symbolisé ses espoirs était devenu le théâtre de son malheur… Il pénétra dans le café, une clochette tinta. Rien n’avait changé. Les mêmes canapés en cuir usés, cette odeur de café fraîchement moulu, le bois ciré et des murs remplis de vieux livres… c’est simple : pas un seul mur, à part celui du comptoir, ceux de la cuisine et des sanitaires n’avait un centimètre de libre… tout était tapissé de vieux ouvrages, des milliers de mots et d’histoires, une inspiration sans limite pour des aspirants littéraires. L’endroit parfait. Paul retrouva ce tableau noir, accroché au-dessus du comptoir où se tenait le même tenancier aux allures bohèmes qui était particulièrement doué pour encourager les jeunes pousses danas leurs ambitions littéraires, ils se saluèrent avec un sourire chalheureux. Sur le tableau, l’on retrouvait cette poétique remarque de Voltaire : “L’écriture, c’est la peinture de la voix.”. Il n’y avait que deux ou trois personnes, et parmi elles, Elias, assis, attendait Paul, un café entamé devant lui. Il regarde Paul, un sourire ambigu, faussement amical. Un prédateur qui sait qu’il a déjà ferré sa proie. Elias savourait l’instant, le regard pétillant d’une satisfaction retenue. Elias resta assis, ne vint pas saluer son ancien partenaire. Paul hésita. Lui serrer la main ? S’asseoir sans rien dire ? Chaque geste devenait une décision pesante.
— Tu sais, j’ai essayé une IA récemment, par curiosité. Impressionnant ce qu’elle peut produire. Si bien qu’on en oublierait presque qu’un humain n’est pas derrière… Elias ne pris aucun chemin détourné. Paul était acculé. Feindre l’ignorance était inutile. Il avait toujours su que révéler la vérité compliquerait tout. Ce n’était pas un mensonge. Juste… plus simple. Les gens n’auraient pas compris s’était tant de fois persuadé Paul. Mais il s’était peut-être fourvoyé. Elias le fixa, satisfait, scrutant le moindre détail de sa réaction.
— Elias. Arrêtons de jouer. Tu as raison, j’ai utilisé une intelligence artificielle pour écrire mon livre. Elias haussa un sourcil. Pris de court. Comme si le jeu n’était déjà plus aussi amusant.
— Tu te rends compte que c’est de la triche ? Un vé-ri-ta-ble écrivain n’utilise pas les IA pour écrire, Paul ! Méprisant au possible, Elias avait placé une emphase théâtrale en prononçant chaque syllabe du mot “véritable”. Paul s’attendait à une confrontation brutale. Il s’y était préparé. Il craignait d’être complètement démuni mais, aujourd’hui, il avait enfilé ses gants de boxe. Il respira un grand coup, il ne pouvait pas quitter le ring, car, s’il voulait continuer à vivre de sa plume, avec ou sans aide d’IA, il fallait se confronter aux regards des autres. Il sourit, ce qui produisit chez Elias un tic nerveux d’agacement manifeste.
— Tu sais, Elias, j’étais tout à fait d’accord avec toi au début. Je suis comme tout le monde, je suis un éternel méfiant face aux IA, quoi que tu penses, je reste critique. Mais ce n’est qu’un outil. Un livre ne se fait jamais seul. Tu le sais. Concevoir une histoire c’est une confrontation d’idées, un remaniement permanent… l’IA peut bien évidemment écrire un livre à ta place… tu peux éventuellement l’aiguiller sur certaines tournures narratives mais c’est ennuyeux, quoiqu’impressionnant les premières fois, mais le plus intéressant c’est de lui demander son avis, de lui demander de trouver un nom de personnage selon des critères bien définis… tu peux le solliciter de bien des manières. Cela entache-t-il selon toi la qualité du travail fourni ? Elias ne s’attendait assurément pas au calme de Paul et surtout de sa répartie. Il n’avait pas vraiment réfléchi à tout cela depuis que son livre avait été édité. Il ressentait, quoi qu’il en dise, une certaine honte qu’il avait tendance à refouler mais il arrivait progressivement, et ironiquement grâce à Elias, à verbaliser son rapport avec cette technologie dans le cadre d’une création littéraire. Il ouvrit la bouche, cherchant une répartie, mais rien ne vint. Finalement, il lâcha, presque à contrecœur :
— Tu as gagné, Paul. Bravo. Il tenta de garder une contenance, mais son plan avait échoué. Il avait voulu briser Paul. C’est lui qui vacillait. Il tenta une dernière attaque : mais mon avis ne compte pas et il va falloir convaincre l’opinion publique. Il se redressa légèrement, son regard s’assombrissant.
— Les gens ont peur des IA, Paul ! Et ils ont raison. Sa voix se fit plus âpre, plus tendue.
— Elles vont nous voler notre gagne-pain ! Elles ne vont faire que s’améliorer. Moi aussi, j’ai été charmé par mes expérimentations, mais c’est une boîte de Pandore… Une tentatrice ! Paul relâcha un souffle qu’il ne réalisait pas avoir retenu. Tout son corps était tendu depuis le début de la conversation. Il détendit ses muscles, se cala contre le dossier de son siège. Et pour la première fois, il ne voyait plus Elias comme un adversaire. Mais comme un homme inquiet. Un homme qui craignait d’être laissé derrière.
— Tu ne seras pas remplacé. Tu évolueras, comme nous tous. Paul se leva lentement. Il inspira profondément. Le combat était terminé. Le regard d’Elias se perdit un instant, troublé. Paul adressa un dernier salut en direction du tenancier qui lui dit : content de t’avoir revu, Paul. Et encore plus heureux de te voir enfin avancer.

De l’aveu à la transmission
Paul se sentait prêt à tout révéler. Il contacta plusieurs organes de presse, dont Littérature Magazine, qui se montra particulièrement intrigué par ce mystère. L’énigme entourant Paul Vernier fascinait autant les critiques que les lecteurs : comment un auteur sorti de nulle part avait-il pu produire un tel roman ? Accueilli par une journaliste aussi vive que bienveillante, Paul sentit malgré tout une légère appréhension. Il allait enfin prononcer les mots qu’il avait toujours évités. Mais cette fois, il ne détourna pas le regard. Paul Vernier expliqua tout de son mode de fonctionnement. L’entretien suscita son lot de réactions. Certains saluèrent son honnêteté, y voyant un rare exemple de transparence dans le monde littéraire. D’autres, plus virulents, parlèrent d’une « tricherie maquillée en confession« . Sur Internet, les débats s’enflammèrent : Paul Vernier était-il vraiment l’écrivain 2.0 qu’il prétendait être… ou à peine plus qu’un technicien de l’imaginaire ? Libéré de son secret, Paul se sentit paradoxalement soulagé. Ce qu’il craignait n’était pas tant la révélation en elle-même, que le regard des autres.
Il multiplia les lectures, s’intéressa à l’histoire des techniques d’écriture, aux formes collaboratives, aux controverses. Il échangea avec d’autres auteurs — certains farouchement opposés à l’IA, d’autres plus curieux, plus ouverts. De ces discussions émergea une idée nouvelle : celle de transmettre. Non pas une méthode miracle, mais une manière d’apprendre à dialoguer avec la machine sans s’y perdre. Il s’improvisa ainsi, assez naturellement, en formateur. Puis en guide. Puis, malgré lui, en pionnier d’une nouvelle ère : celle de la littérature 2.0. Un romancier augmenté. Un prédicateur éclairé — et critique — d’une technologie que le monde allait devoir apprendre à dompter.
Note de l’auteur :
Cette fiction marque le début d’une série de récits que je souhaite explorer ici. Le sujet de cette première histoire s’est imposé presque naturellement : comme Paul, je commence moi aussi à écrire avec un appui extérieur. Je me suis donc demandé ce qu’il adviendrait d’une personne initialement très critique envers l’intelligence artificielle – souvent par ignorance, comme je l’étais moi-même – qui finirait par se laisser convaincre… jusqu’à rencontrer un succès inespéré. Ce qui m’intéressait ici, c’était de raconter cette trajectoire sans jamais nommer l’IA, comme une présence en creux, une ombre silencieuse mais omniprésente. Car parfois, le non-dit en dit plus que les aveux. Et la vérité finit toujours par rattraper celui qui, sans mentir, a laissé l’omission faire tout le travail, attirant malgré tout toute la lumière sur lui. J’ai donc imaginé Elias, ce vieux camarade jaloux. J’ai voulu que la confrontation finale soit une joute sans vainqueur, car ce n’était pas le propos. Chacun, à sa manière, tente de composer avec son époque… et avec les outils qu’elle met entre nos mains. À travers ce récit, il est aussi question d’honnêteté intellectuelle, de transparence et de ce que pourrait devenir la création culturelle lorsque – si ce n’est déjà fait – l’intelligence artificielle sera pleinement intégrée (ou non) à nos processus d’écriture. Comment réagira l’opinion publique à ce tournant ? C’est une question qui mérite qu’on la pose.

Charte de transparence IA
🧠 Idée : 100 % humaine
📁 Structure : J’ai voulu faire une projection, forcément nourrie par ma propre histoire. Je doute qu’un jour je suive vraiment le parcours de Paul — je ne vois pas ce que je pourrais apporter à une offre littéraire déjà si foisonnante — mais ce personnage me permet d’explorer nos paradoxes face à la création, à la reconnaissance, et à la frontière mouvante entre l’homme et la machine.
✍️ Rédaction : La rédaction est globalement humaine, avec plusieurs relectures et compléments par l’IA afin d’améliorer la fluidité, peaufiner les dialogues et affiner certains détails narratifs. J’ai également eu recours à l’IA pour trouver des noms et prénoms (un domaine où je pèche souvent !), ainsi que pour étoffer la description du petit café d’écrivains… Avouez qu’on aurait tous envie de s’y poser, non ?
🎨 Illustrations : Les illustrations ont été générées à 100 % par intelligence artificielle. J’ai longuement tâtonné pour obtenir un minimum de cohérence visuelle, notamment autour du personnage de Paul. Il reste encore une grande marge de progression sur ce plan, mais cela permet déjà de donner une ambiance, une atmosphère, qui accompagne la lecture sans la figer.
Intervention globale de l’IA estimée : 40 %
Depuis toujours, l’être humain se raconte des histoires. C’est par la fiction qu’il imagine, qu’il anticipe, qu’il se rêve ou se met en garde. Les récits – qu’ils soient dystopiques, utopiques, symboliques ou réalistes – façonnent nos repères et modèlent en profondeur notre manière d’être au monde.
Ce cadre est un rappel : chaque fiction que nous consommons ou créons est aussi un miroir, une loupe ou un avertissement. Une projection mentale parfois dérangeante, parfois salvatrice. L’important, c’est d’apprendre à en décoder les rouages.
Penser par la fiction, c’est déjà penser au-delà du présent.








Laisser un commentaire